À l’aide d’un instrument composé de plusieurs appareils photo, des chercheurs de l’EPFL ont affiné nos connaissances sur l‘anatomie des flocons de neige. Leur but’ Améliorer la mesure des chutes de neige et les prévisions météo hivernales.
Imaginez des milliers de flocons de neige pris en photo sous trois angles différents par un instrument situé à 2500 mètres d’altitude. Imaginez ensuite quatre chercheurs qui entraînent manuellement un algorithme à reconnaître six familles de flocons de neige parmi 3500 de ces images. Imaginez enfin cet algorithme être capable de classer les millions d’images restantes dans ces six catégories à un rythme effréné. Vous aurez, au bout du compte, l’essentiel de la méthode inventée par l’équipe d’Alexis Berne au Laboratoire de télédétection environnementale (LTE) de l’EPFL. Les chercheurs présentent leur démarche inédite dans le dernier numéro de la revue Atmospheric Measurement Techniques. Explications.
«La communauté scientifique s’évertue depuis plus de 50 ans à améliorer la mesure et la prévision des précipitations pluvieuses et neigeuses. Dans ce domaine, nous commençons à avoir une bonne compréhension des processus impliqués dans la pluie», explique Alexis Berne. «Pour la neige, c’est beaucoup plus compliqué: la forme, la géométrie et les propriétés électromagnétiques des flocons, tout ce qui, en gros, va conditionner la manière dont les cristaux renvoient un signal vers les radars météo, complexifie beaucoup notre tâche. Et la teneur en eau des flocons de neige reste encore assez mal connue. Notre objectif dans cette étude était donc de mieux comprendre ce qui tombe quand il neige pour améliorer, à terme, les prévisions des précipitations neigeuses en montagne». Notons que ces informations ont d’autres applications concrètes soulignées par le chercheur: elles contribuent, par exemple, à mieux connaître l’équivalent en eau du manteau neigeux, une information utile pour l’énergie hydraulique et l’irrigation.
Classification et étude du degré de givrage
Pour atteindre son objectif, l’équipe d’Alexis Berne s’est équipée d’un MASC (Multi-Angle Snowflake Camera, Image 1). Cet instrument, composé de trois appareils photo synchronisés, est capable de prendre simultanément trois photos de flocons de neige à très haute résolution (jusqu?à 35 microns) lorsque ceux-ci passent à travers son anneau métallique.
En collaboration avec l’Office fédéral de météorologie et climatologie MétéoSuisse et l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches (SLF), les chercheurs ont placé cet appareil à 2500 mètres d’altitude durant un hiver à Davos et durant un été austral en Antarctique et ainsi récolté des millions d’images. Ils ont ensuite effectué une classification automatique des flocons en six familles déjà connue des scientifiques: les cristaux planaires, les cristaux colonnaires, la neige roulée, les agrégats, les combinaisons de cristaux planaires et colonnaires et les petites particules (Image 2).
Image 1. Le MASC, pour Multi-Angle Snowflake Camera. © LTE/EPFL
Image 2: Les six familles de flocons de neige utilisées par les chercheurs. © LTE/EPFL
Les photos prises par le MASC ont également permis de déterminer le degré de givrage de chaque flocon, en tirant de l’information de la texture des images (Image 3). Alexis Berne: «En traversant l’atmosphère et les nuages, les flocons de neige changent de morphologie, certains s’enveloppent de couches de givre et deviennent plus ou moins de la neige roulée (#3-5), d’autres en revanche restent très purs (#1-2) et possèdent donc un index de givrage très bas». Ce mécanisme de givrage est important car il convertit de «l’eau nuageuse» en «eau précipitante» sous forme de glace, c’est-à-dire, en neige.
Image 3: Le degré de givrage d’un flocon de neige, du plus bas, au plus élevé. © LTE/EPFL
Comparaison entre les Alpes et l’Antarctique
Résultat: en mettant côte à côte les résultats obtenus avec le même instrument dans les Alpes grisonnes et sur la côte Antarctique, en Terre Adélie, l’étude a permis de distinguer les récurrences des différentes familles de flocons de neige. A Davos, la majorité des flocons observés correspond à des agrégats (49%), suivis des petites particules et de la neige roulée. En Antarctique, les petites particules viennent en tête (54%), derrière les agrégats et la neige roulée.
Pour Alexis Berne, cette différence a une explication: les vents violents de l’Antarctique érodent continuellement le manteau neigeux et favorisent ainsi la présence de petites particules de neige. En outre, le degré de givrage est plus faible en Antarctique, à cause de la moindre humidité de l’atmosphère. Autre constat qui décevra peut-être les esthètes: les «cristaux dendritiques», l’image d’Epinal du flocon de neige parfait, se font en réalité assez rares dans les deux environnements, avec une proportion respective de 10% à Davos et de 5% en Antarctique.
Approche multi-instrumentale
Les mesures et les prévisions météorologiques sont liées à des phénomènes complexes et multifactoriels qui nécessitent de la part des scientifiques une approche multi-instrumentale. Les résultats obtenus par l’équipe d’Alexis Berne prendront donc encore plus de valeur en les croisant avec les données récoltées par d’autres appareils tels que des radars météorologiques, qui permettent de collecter des informations sur les précipitations et les nuages dans toute la colonne d’atmosphère.
À Davos, MétéoSuisse a placé un pluviomètre aux côtés du MASC, dans le cadre du projet international SPICE (Solid Precipitation InterComparison Experiment). Ces données doivent encore être traitées, mais la comparaison entre l’équivalent en eau liquide et le type de flocons observés par le MASC au même instant permettra aux chercheurs de tester des hypothèses sur la teneur en eau des flocons de neige, un point encore mystérieux des sciences atmosphériques.
Mesures prévues aux JO de 2018
Par ailleurs, poursuivre la récolte de données est indispensable à l’équipe du LTE pour progresser dans leur recherche: après Davos, les chercheurs ont renvoyé le MASC en Antarctique pour y récolter de nouvelles données. Ils l’installeront ensuite dans les montagnes coréennes, en 2018, pendant les Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang. «Plus nous récolterons de données, plus nos statistiques seront robustes», résume le chercheur.
A cheval entre la science fondamentale et la recherche appliquée, cette étude a réuni deux chercheurs du LTE, Alexis Berne et Christophe Praz, et un chercheur de MétéoSuisse, Yves-Alain Roulet. L’institution collabore depuis de nombreuses années avec l’EPFL dans le but d’améliorer les estimations des précipitations et ses modèles de prévisions météorologiques.
Référence:
Christophe Praz, Yves-Alain Roulet, Alexis Berne, Solid hydrometeor classification and riming degree estimation from pictures collected with a Multi-Angle Snowflake Camera, Atmospheric Measurement Technique, mars 2017.
Dossier de presse