Chez les fourmis, l’union fait la force... et la santé

Au total, les chercheurs ont marqué 4’266 fourmis. Le but : mesurer précis
Au total, les chercheurs ont marqué 4’266 fourmis. Le but : mesurer précisément tous les contacts entre individus pour comprendre comment la colonie se prémunit contre les épidémies © Timothée Brütsch, DEE

Lorsqu’un pathogène entre dans leur colonie, les fourmis modifient leur comportement afin d’éviter une épidémie. Collectivement, elles sont ainsi capables de protéger la reine et les jeunes ouvrières. Une forte densité de population, des contacts fréquents et étroits entre individus sont autant de facteurs qui favorisent la propagation de maladies. Pour s’en prémunir, les fourmis ont, au cours de leur évolution, adapté leur organisation sociale et développé des mécanismes de défense.

Pour étudier les dynamiques de propagation des maladies, les biologistes ont d’abord posé des marqueurs digitaux sur 2’266 fourmis noires des jardins, réparties en 22 colonies dans les laboratoires de l’Université de Lausanne. Des photos, prises par des caméras infrarouges toutes les demi-secondes, ont permis de mesurer très précisément les déplacements et positions de chaque individu. 10% des ouvrières (toutes des fourragères) ont ensuite été exposées aux spores d’un champignon pathogène, transmissibles par simple contact.

En comparant les propriétés des fourmilières avant et après l’introduction de l’agent infectieux, les myrmécologues ont constaté que les animaux étaient capables de détecter la présence du champignon et d’ajuster rapidement leur comportement pour renforcer les mécanismes de défense existants.

’ Elles n’interagissent pas de manière aléatoire avec toutes leurs congénères mais sont par exemple organisées en groupes de travail, en fonction de leur âge et des tâches à accomplir ’, indique Nathalie Stroeymeyt, chercheuse au Département d’écologie et évolution de l’Université de Lausanne (UNIL). La chercheuse explique que les jeunes qui veillent sur les larves à l’intérieur de la colonie (ouvrières dites ’ nourrices ’) n’ont ainsi que peu de contacts avec les aînées qui sortent chercher de la nourriture (ouvrières dites ’ fourragères ’).

Renforcer les défenses existantes

’ La fragmentation de la colonie et la ségrégation entre les différents groupes de travail ont augmenté, explique Nathalie Stroeymeyt. Les nourrices et les fourragères ont encore moins interagi. De plus, l’efficacité du réseau, soit la vitesse à laquelle un agent (ici le pathogène) se diffuse, a diminué, entre autres. ’ Concrètement, les fourragères initialement exposées au champignon se sont isolées : elles ont passé davantage de temps à l’extérieur et ont réduit leurs déplacements une fois à l’intérieur de la colonie. Plus étonnant, les fourragères saines ont fait de même. Quant aux nourrices, elles ont déplacé le couvain (ensemble d’oeufs, de larves et de nymphes) plus profondément dans le nid pour le mettre en sécurité.

’ Le fait que des fourmis non exposées soient aussi capables d’adapter leur comportement à la présence d’un pathogène était inconnu jusqu’ici ’, se réjouit Nathalie Stroeymeyt. oeIl s’agit de la première étude qui démontre scientifiquement qu’une communauté animale est capable de modifier activement son organisation pour réduire la propagation de maladies ’, complète Laurent Keller, directeur de l’étude et du Département d’écologie et évolution.

Sauver la reine

Les analyses, réalisées en collaboration avec l’Institute of Science and Technology Austria, à Vienne, ont également montré que la colonie surprotégeait les animaux importants. La reine (seul individu à se reproduire) et les nourrices (des fourmis jeunes qui ont encore de nombreuses heures de travail à offrir à la collectivité) étaient moins fortement exposées au pathogène.

Des résultats confirmés par une expérience dite ’ de survie ’, menée avec 11 nouvelles colonies durant 9 jours. ’ La mortalité était plus élevée parmi les fourragères que parmi les nourrices. Et toutes les reines étaient encore en vie à la fin de l’expérience ’, souligne Nathalie Stroeymeyt.

Les fourmis, source d’inspiration

Les sociétés d’insectes sociaux présentent de nombreuses similarités avec les sociétés humaines. Selon les deux chercheurs, la capacité des fourmis à faire face collectivement à des problèmes complexes, comme ici un risque d’épidémie, pourrait inspirer le développement de méthodes analogues chez l’Homme, voire prévenir des pandémies à l’échelle mondiale. ’ Les fourmis savent se protéger contre les maladies depuis 100 millions d’années. Nous, depuis quelques siècles à peine ’, philosophe Laurent Keller.

Ces résultats, obtenus par l’équipe de Laurent Keller au Département d’écologie et évolution de l’Université de Lausanne, ont été publiés le 22 novembre 2018 dans la revue "Science".