Une reconstruction numérique de la source d’énergie du cerveau

- EN- FR
© 2021 EPFL - Blue Brain Project
© 2021 EPFL - Blue Brain Project

Publiée dans la revue Cerebral Cortex , une étude du Blue Brain Project de l’EPFL permet de reconstruire l’architecture d’entités non neuronales comme les vaisseaux sanguins et les cellules de soutien appelées cellules gliales ou glie. Ces reconstructions du tissu cérébral fournissent un cadre d’une précision inférieure au micron et peuvent servir à étudier les interactions entre les médicaments, ainsi qu’à explorer le processus de survenue des maladies neurodégénératives.

Pendant que vous lisez cet article, votre cerveau mobilise les neurones et la glie pour traiter l’information. Il s’ensuit une augmentation de la demande d’énergie métabolique neuronale, ce qui entraîne une hausse de la production d’énergie et des modifications locales du diamètre des vaisseaux proximaux pour équilibrer cette demande. L’organisation structurelle complexe des deux types de cellules dominantes dans le cerveau, les neurones et la glie, qui jouent un rôle dans les fonctions cérébrales, est connue sous le nom de système neuro-glio-vasculaire (NGV). Aujourd’hui, pour la première fois, les scientifiques de Blue Brain ont reconstruit numériquement l’architecture de ce système, y compris les neurones, la glie et les vaisseaux sanguins.

«À l’aide du modèle de pointe du microcircuit neuronal de Blue Brain ( Markram et al., 2015 ), nous avons reconstruit numériquement l’architecture NGV à une résolution inférieure au micromètre. Nous avons combiné ce modèle avec des données bibliographiques et expérimentales pour reconstruire la disposition spatiale et les morphologies des astrocytes (le type glial le plus courant dans la matière grise) et leur relation avec le système vasculaire dans le cortex du rat», explique l’auteur principal, Eleftherios Zisis. «Nous avons numériquement cartographié la forme de la glie à l’aide d’un microscope électronique, puis recréé mathématiquement ses formes. Ensuite, nous avons créé un tissu cortical somatosensoriel de rat de 0,2 mm3 avec 16 000 neurones morphologiquement détaillés, 2 500 astrocytes protoplasmiques et son système microvasculaire. La cohérence de notre reconstruction avec la multitude de mesures expérimentales permet de nouvelles prédictions sur l’organisation NGV. Cela permet la reconstruction anatomique de microdomaines astrocytaires qui se chevauchent et la quantification des pieds terminaux (terminaisons astrocytaires qui enveloppent les vaisseaux sanguins) qui relient chaque astrocyte au système vasculaire, ainsi que la quantification de la mesure dans laquelle ces pieds terminaux recouvrent les vaisseaux sanguins. Nous pouvons ainsi examiner de manière plus approfondie l’organisation et le fonctionnement du système NGV. Nous avons pu effectuer des mesures simultanées des aspects géométriques et fonctionnels du système NGV, ce qui est souvent difficile à réaliser avec des configurations expérimentales», conclut-il.

Une reconstruction in silico dense à partir de données expérimentales peu nombreuses

La rareté des données expérimentales est un problème permanent pour la science, et la reconstruction expérimentale des astrocytes est particulièrement difficile et coûteuse. Par conséquent, la communauté peine à obtenir le nombre de cellules nécessaires pour créer des circuits complets - circuits qui peuvent nécessiter des milliers, voire des millions de cellules, selon la taille de l’aire cérébrale à reconstruire. Le Blue Brain a déjà développé une nouvelle approche mathématique utilisant la topologie pour décrire la structure ramifiée des neurones (Kanari et al https://www.biorxiv.org/conte­nt/10.1101­/2020.04.1­5.040410v1 ). Nous avons appliqué cette approche aux astrocytes qui possèdent des ramifications beaucoup plus fines afin de créer des milliers de morphologies astrocytaires uniques pour chaque domaine astrocytaire, ce qui nous a permis de résoudre le problème de l’insuffisance des données expérimentales.

«En rassemblant les statistiques du tissu neuronal, une image cohérente émerge de la façon dont les astrocytes sont organisés dans le cerveau», déclare Daniel Keller , responsable de l’équipe systèmes moléculaires de Blue Brain. «Nous espérons que les résultats que nous partageons motiveront les expérimentalistes à comprendre quels types de données sont les plus utiles pour leur approche et qu’ils fourniront un cadre pour l’intégration de nouvelles données. Afin de garantir la fidélité biologique, le circuit NGV a été validé par rapport aux valeurs rapportées dans les études anatomiques et aux mesures expérimentales à différents niveaux de détail, allant du nombre d’astrocytes à la structure de chaque astrocyte.»

L’approche in silico réduit les coûts et accélère les découvertes scientifiques

Les reconstructions anatomiques in silico du système NGV réalisées par Blue Brain ne visent pas à remplacer les mesures expérimentales mais à réduire les coûts et le temps nécessaires aux découvertes scientifiques. Les circuits NGV générés de manière algorithmique peuvent servir de loupe pour étudier la complexité du cerveau, permettant aux scientifiques d’explorer la géométrie et la topologie de ses cellules et de leurs connexions. De plus, la création de plusieurs circuits NGV, chacun avec un ensemble différent de paramètres reflétant les changements organisationnels dans l’anatomie du cerveau, pourrait permettre de mieux comprendre les principes anatomiques et leurs contraintes géométriques. Grâce à ces informations, les scientifiques peuvent mettre au point des expériences plus ciblées, d’où un gain de temps et une diminution des coûts.

En outre, l’étude a montré qu’un circuit in silico de l’architecture NGV pouvait quantifier simultanément les aspects compositionnels (densités, connexions, surfaces et volumes) et organisationnels (connectivités, répartitions des distances, corrélations) de ses entités, et étudier les questions concernant les subtilités de la composition des types de cellules et leur relation avec la capacité de calcul.

Recherche sur l’administration des médicaments et les maladies neurodégénératives

«Il faut une vue de très haute résolution de l’anatomie du système NGV pour pouvoir comprendre les pathologies et les traitements qui pourraient être mis au point», déclare Henry Markram , fondateur et directeur de Blue Brain. «La recherche sur l’administration des médicaments étudie les interactions entre les médicaments et les molécules, ainsi que les interactions entre les molécules, dans des espaces restreints. Le modèle Blue Brain fournit une base structurelle pour les modèles biophysiques afin d’explorer les échanges entre les neurones, la glie et le système vasculaire à une résolution qui était auparavant impossible.»

De même, la recherche sur les maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer cible les astrocytes réactifs, dont la morphologie est entièrement transformée avec des variations dans leur ramification, leur chevauchement et leur prolifération par rapport aux cerveaux sains. Dans les deux cas, cette approche basée sur les données permet des améliorations progressives au fur et à mesure que des données expérimentales sont disponibles, que de nouveaux modèles biophysiques sont publiés et que de nouvelles questions se posent», résume-t-il.

À partir de la reconstruction des bases structurelles du système NGV, la prochaine étape pour Blue Brain consistera à simuler les processus métaboliques se produisant dans l’ensemble NGV, ainsi que la modulation du flux sanguin induite par les composants NGV. Tout le matériel sera disponible gratuitement via le portail Blue Brain NGV.

References

Zisis, E., Keller, D., Kanari, L., Arnaudon, A., Gevaert, M., Delemontex, T., Coste, B., Foni, A., Abdellah, M., Calì, C., Hess, K., Magistretti, P. J., Schürmann, F., & Markram, H. (2021). Digital reconstruction of the neuro-glia-vascular architecture. Cerebral Cortex. https://doi.org/10.1093/cerc­or/bhab254