Nicolas Senn, vice-Doyen à la Durabilité et aux infrastructures

Nicolas Senn. © Droit d’auteur Marc Rouiller | Unisanté
Nicolas Senn. © Droit d’auteur Marc Rouiller | Unisanté
Chef du Département médecine de famille d’Unisanté, le professeur a rejoint une équipe décanale "renforcée", comptant 6 vice-Doyen·nes depuis le 1er août 2024. Interview.

C’est en 2019 que Nicolas Senn, aujourd’hui professeur ordinaire de l’Université de Lausanne et chef du Département médecine de famille d’Unisanté, commence à s’intéresser au lien entre la santé et l’environnement : un domaine qui constitue actuellement la majorité de son activité de recherche. Auparavant, le médecin épidémiologiste s’était intéressé à l’organisation des soins primaires et de la médecine de famille, activité qu’il poursuit encore. Tout cela après un détour par la médecine tropicale : entre 2005 et 2008, Nicolas Senn avait coordonné un projet de recherche sur la prévention de la malaria en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Un parcours riche, une vision ’ globale ’ qu’il met désormais au service de la Faculté de biologie et de médecine (FBM), dont il a rejoint l’équipe décanale en août.

Quels sont, selon vous, les principaux enjeux de votre dicastère ?

Nous devons être alignés sur la stratégie durabilité de l’Université de Lausanne. Toute la difficulté va être d’élaborer, à la FBM, une politique cohérente dans ce cadre institutionnel, et plus largement dans le cadre d’une politique environnementale telle que l’Accord de Paris peut la définir pour le changement climatique. Par ailleurs, la FBM regroupant à elle seule la moitié des infrastructures de l’Université de Lausanne, le défi est gigantesque. Dès lors, comment amener cette grosse machine dans les clous, au-delà de quelques mesures qui ne soient pas que du green washing

Nous avons une vraie carte à jouer : la FBM, seule faculté suisse de médecine dotée d’un dicastère spécifique à la durabilité, peut jouer un rôle de pionnière. J’assistais en août au forum de l’AMEE , principale association internationale de pédagogie pour les professions de la santé, organisé cette année à Bâle : j’ai pu me rendre compte, en échangeant avec mes collègues allemands, anglais ou singapouriens, que ne nous faisions pas pâle figure sur les questions d’enseignement de la durabilité. Nous avons déjà intégré ces questions dans notre curriculum de médecine , et surtout nous pouvons compter sur la courroie de transmission du Décanat, avec un Doyen, Renaud Du Pasquier, qui soutient totalement notre démarche. C’est un atout, qui peut nous donner une position de leadership dans ce domaine en Suisse, et pas uniquement pour l’enseignement, mais pour la recherche également. Réaliser un tout cohérent.

Il y a bien sûr aussi des difficultés. La première va être de convaincre, d’emmener les gens avec nous. Il ne faut pas minimiser le risque de lassitude. Mais je pense que nous sommes en train d’arriver, ou devrions arriver, à une forme de ’ normalisation ’ de la thématique. Ce n’est plus une question politique ou militante : intégrer la durabilité dans nos pratiques de recherche, les déterminants environnementaux de la santé dans la prise en charge des patients, est quelque chose de normal , cela participe à ce qui fait de vous un·e bon·ne médecin, un·e bon·ne chercheur·se.

Comment arriver à une ’ identité ’ FBM, à combiner harmonieusement biologie et médecine ?

Il faut créer des conditions favorables : faire que les gens se connaissent, discutent, mais aussi mettre en place des structures qui favorisent les rapprochements. On me dira que je prêche pour ma paroisse, mais je pense que la durabilité, les questions environnementales sont un terrain idéal pour mettre ensemble biologistes, médecins et infirmier·ères. Si je prends mon propre exemple, je collabore avec Antoine Guisan, professeur au Département d’écologie et évolution, qui travaille sur la cartographie de la biodiversité. Biodiversité et santé, voilà un sujet fédérateur pour une faculté de biologie et de médecine ! Et il y en a d’autres. Mettre en place les conditions favorables, cela passe par des appels à projets, par les bourses interdisciplinaires de la FBM. C’est aussi ce que visent les conférences organisés par la plateforme ’ Durabilité et santé ’ de la FBM , avec un cycle en cours sur la pollution plastique : nos intervenant·es viennent de la médecine, de la biologie, de l’ingénierie, des soins infirmiers... Peut-être serait-il intéressant de mettre tout à plat, d’effectuer un mapping de la biologie, de la médecine et de la recherche en soins infirmiers à la FBM afin d’identifier les points de convergence ?

C’est aussi, je pense, une question d’attitude, voir le verre à moitié vide ou à moitié plein : est-ce qu’on considère le mariage de la biologie et de la médecine comme une hérésie ou une opportunité, sachant que certaines données, comme l’éclatement géographique, ne changeront pas - Le Décanat a donc un rôle capital à jouer pour faire monter la mayonnaise, à travers la définition de ses axes stratégiques, de ses objectifs.

Et vous, qu’est-ce qui vous fait vibrer, en tant que chercheur - Ou en tant que professeur ?

Allier les deux, recherche et enseignement. Pour moi, c’est une richesse : je considère d’ailleurs que les étudiant·es sont une bonne caisse de résonance pour les projets sur lesquels on travaille. Un genre de relais de terrain appliqué, en somme.

En tant que professeur, nous avons un luxe immense, celui de pouvoir nous poser des questions et de tenter d’y répondre, ou du moins de proposer des éléments de réponse, en prenant le temps qu’il faut. D’ailleurs, dans le processus de recherche, ma préférence va peut-être à l’écriture du protocole : c’est, en quelque sorte, le stade du rêve. La recherche elle-même est plus opérationnelle, tandis que l’analyse des résultats est une étape un peu laborieuse. On est souvent douché froid, même si l’on a parfois des surprises, si l’on sait les percevoir. Voilà pour moi un risque essentiel qui guette le chercheur : être trop focalisé sur un aspect ultra spécialisé, perdre de vue l’ensemble, au risque de certains biais d’interprétation, de ne pas voir , littéralement, ce qui ne cadre pas avec l’assomption de départ. Un risque encore plus important qui en découle, c’est de ’ faire de la recherche pour elle-même ’, sans connexion avec le monde réel ; sous couvert d’objectivité, on réduit une problématique complexe à un phénomène ’ simplifié ’. Il est donc indispensable de rester ouvert, d’élargir son regard. Voilà qui rejoint l’importance de l’interdisciplinarité, l’importance de travailler avec d’autres, de profiter de l’éclairage d’autres disciplines.

Et parce qu’il n’y a pas que le travail dans la vie... une passion, un hobby qui vous permet de vous ressourcer ?

Le voyage à vélo. C’est un peu caricatural, non - Et pourtant, j’aime la liberté que cela offre : la mécanique reste assez simple - j’utilise un vélo musculaire bien sûr, pas électrique ! - on est donc autonome, on peut réparer soi-même en cas de problème. On choisit son rythme, on pose sa tente où l’on veut. Il y a 25 ans, nous avons fait, avec ma femme, un voyage en Asie centrale, Kirghizstan, Kazakhstan, Sibérie, à vélo. Actuellement, je me cantonne surtout à l’Europe. Je pars d’ailleurs demain ( ndlr : l’entretien s’est déroulé le 18 septembre) pour la Belgique !

J’ai d’autres dadas, comme m’occuper de mon jardin, de mon verger. Je fais de la bière, je fais mon pain, et bien sûr mon levain. Je suis fasciné par les processus de fermentation, de transformation de produits naturels. Dans une autre vie, j’aurais pu devenir un spécialiste de la levure, qui sait ?