
Une étude s’intéresse aux mécanismes à l’origine du développement de l’aile de la mouche Drosophila melanogaster. Mieux comprendre comment les cellules coordonnent leurs efforts chez cet insecte pour créer un nouvel organe pourrait permettre à terme de mieux appréhender le fonctionnement de maladies telles que le cancer et servir de base pour l’élaboration de tissus artificiels.
«Lorsque l’on se penche sur un organisme donné, on remarque qu’entre les individus d’une même espèce les proportions des différentes parties du corps sont généralement assez bien conservées, détaille Aitana Morton de Lachapelle, coauteur de l’étude. Bien qu’il existe des exceptions notables à cette règle si l’on considère l’ensemble des individus d’une espèce, ces différences sont bien moindres lorsque l’on étudie une même lignée d’un organisme de laboratoire comme la drosophile».
Cette propriété, appelée invariance d’échelle, est au coeur des recherches menées par les scientifiques. Ces derniers se sont tout particulièrement intéressés à l’invariance d’échelle lors du développement de l’aile de la mouche Drosophila melanogaster - dite aussi mouche du vinaigre - l’aile constituant un modèle de choix avec sa structure bidimensionnelle. «Grâce à l’invariance d’échelle, les veines sur une aile seront par exemple bien espacées entre elles, même sur une aile de plus grande taille, garantissant ainsi sa fonctionnalité», explique Sven Bergmann, chercheur à l’Université de Lausanne. Afin de comprendre comment les veines sont correctement positionnées sur une aile en devenir, les chercheurs ont développé de nouvelles méthodes de quantification spatiale et temporelle de l’invariance d’échelle et se sont concentrés sur le stade larvaire du développement; c’est en effet à ce moment précis que l’aile de la mouche commence à se développer.
L’invariance d’échelle, élément déterminant du sort des cellules
Une question qui intrigue de nombreux biologistes est de savoir comment une cellule dans un tissu qui grandit «sait» où elle se trouve par rapport à ses congénères et peut donc décider en quel type cellulaire elle va se différencier, par exemple en veine ou inter-veine dans le cas d’une aile. La production et la libération d’une molécule de signalisation, appelée morphogène, qui diffuse et forme un gradient de concentration, joue un rôle-clé dans ce processus. «Différents niveaux d’exposition au morphogène entraînent différentes spécifications cellulaires, grâce à l’activation de cascades de signalisation spécifiques, poursuit Aitana Morton de Lachapelle. Par conséquent, en réponse au gradient de morphogène, les cellules commencent à exprimer certains gènes par endroits, dits domaines d’expression, formant dans le tissu des régions caractérisées par une combinaison unique des gènes qui y sont exprimés».
En d’autres termes, la formation de ces domaines d’expression de gènes est le moyen par lequel le sort des cellules est déterminé. A mesure que le gradient de morphogène est décodé par les cellules dans le tissu, un motif de destinées cellulaires émerge.
Même si les morphogènes sont connus depuis quelques décennies, les processus par lesquels cette spécification cellulaire, qui précède la différentiation, peut se faire de manière aussi robuste demeure souvent un mystère. Afin de partiellement lever le voile sur cette inconnue, les scientifiques ont quantifié l’invariance d’échelle de ces domaines d’expression, puis essayé de trouver des mécanismes pouvant rendre compte de ce phénomène, afin de garantir que l’aile adulte soit bien proportionnée et donc fonctionnelle. Dans le précurseur de l’aile, ils ont découvert que l’invariance d’échelle est en partie perturbée chez des mouches mutantes déficientes en gène «pentagone», un gène essentiel à la formation de gradients sur de longues distances.
De la recherche fondamentale à ses applications cliniques
«En règle générale, comprendre comment les cellules répondent à des signaux ou coordonnent leurs actions pourrait nous éclairer davantage sur des maladies comme le cancer et, en théorie, servir de base à l’élaboration de tissus artificiels», conclut Sven Bergmann.