Afin d’assurer leur survie et d’optimiser leur croissance, la plupart des plantes établissent des associations symbiotiques avec des champignons microscopiques. En manipulant de manière naturelle la génétique de ces derniers, l’équipe du Prof. Ian Sanders au Département d’écologie et évolution de l’UNIL est parvenue à multiplier par trois la production de manioc en Colombie tout en réduisant de manière drastique l’usage d’engrais phosphatés. Au vu des excellents résultats obtenus, le FNS renouvelle son soutien à hauteur de CHF 800’000 afin que le projet soit transposé en Afrique subsaharienne.
Une situation «win-win»
Depuis vingt ans, les objets d’étude privilégiés du Prof. Sanders sont les champignons arbusculaires dits «mycorhiziens» (Rhizophagus irregularis). D’origine grecque, le mot «mycorhize» traduit la collaboration entre un champignon (myco) et les racines (rhiza) d’une plante. Quasi invisibles à l’oeil nu, ces champignons minuscules vivent dans le sol entremêlés aux racines des végétaux dont ils pénètrent les cellules. Grâce à leurs hyphes, de fins filaments, ils forment ainsi des réseaux souterrains qui connectent entre elles des plantes d’espèces très variées.
Cette symbiose profite aux deux partenaires: le champignon bénéficie d’un apport constant en sucres provenant de la plante; en contrepartie, il assure par le biais de ses hyphes l’accès et le transport d’éléments nutritifs et de minéraux comme le phosphate, essentiels à la croissance et à la diversité de la plante. A l’état naturel, plus de 80% des plantes réalisent cette symbiose.
Une réponse à la rapide croissance de la population humaine
En raison de la rapide croissance de la population humaine, les scientifiques ont un besoin urgent de développer de nouvelles technologies et des moyens plus durables pour produire de la nourriture. La solution pourrait en partie se trouver dans ces champignons microscopiques. «L’utilisation des champignons mycorhiziens pour augmenter la production de plantes essentielles en matière de sécurité alimentaire, telles que le riz, la pomme de terre ou le manioc, constitue une piste très prometteuse», projette Ian Sanders.
Améliorer la génétique des champignons
En 2010, son équipe a réussi, en manipulant de manière naturelle la génétique de ces champignons, à augmenter d’un facteur de cinq la croissance du riz en serres (Current Biology, juin 2010). «Nous avons démontré au niveau moléculaire qu’en modifiant la génétique des champignons via un processus naturel, on change par ailleurs l’expression des gènes impliqués chez la plante dans la symbiose. Cette méthode s’apparente à celle utilisée par les cultivateurs pour créer de nouvelles variétés de plantes par croisements. Il s’agit de produire et sélectionner les souches de champignons les plus efficaces possibles pour une plante donnée, sans introduire de nouveau gène dans celle-ci, selon une approche «OGM free» durable et respectueuse des écosystèmes», détaille Ian Sanders.
Du riz au manioc
Restait alors pour le chercheur à tester l’efficacité de ses champignons boosters de croissance à large échelle en réalisant des essais en champ. Le choix s’est porté sur le manioc. Actuellement, quelque 105 pays cultivent cette racine, notamment en Afrique subsaharienne, et l’enjeu est d’importance au vu du milliard de personnes qui s’en nourrissent au quotidien. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) juge d’ailleurs cette plante comme capitale en matière de sécurité alimentaire.
«Si notre approche a obtenu des résultats mitigés dans les régions tempérées, son potentiel est en revanche très prometteur sur les terres tropicales. Ces terres très acides rendent en effet l’accès au phosphate particulièrement difficile et obligent les agriculteurs à utiliser de grandes quantités d’engrais phosphatés pour un résultat limité», explique Ian Sanders.
En 2011, son groupe a ainsi démarré une collaboration avec l’équipe du Prof. Alia Rodriguez de la National University of Colombia, à Bogotá. Ce programme international, soutenu à hauteur de CHF 380’000 par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) et d’une durée de trois ans, comprenait de la recherche sur le terrain ainsi que de l’enseignement aux étudiants en agromomie colombiens.
Une production de manioc trois fois supérieure
L’enjeu consistait non seulement à créer de nouvelles souches de champignons mycorhiziens encore plus performantes pour le manioc, mais également à parvenir à les produire à grande échelle, avant de les concentrer en petits volumes pour une utilisation pratique en plein champ.
Des premiers essais réalisés dans la région de Los Llanos, en Colombie, ont montré qu’une utilisation en conditions réelles de ces champignons permettait d’accroître de 20% la production de manioc tout en réduisant de 50% l’apport en engrais phosphaté (PLOS ONE, août 2013). «Nous avons ensuite trouvé un moyen de produire génétiquement de nouvelles souches de champignons mycorhiziens, en d’autres termes d’améliorer leur programme génétique, les rendant ainsi capables d’augmenter d’un facteur de trois la production de manioc!», s’enthousiasme Ian Sanders. A noter toutefois que ces champignons étaient plus efficaces en saison sèche.
Améliorer la sécurité alimentaire tout en réduisant l’empreinte écologique
Comme aime à le souligner Ian Sanders, la Révolution verte des années 70’s et 80’s a permis de sauver un milliard de vies grâce à une amélioration génétique des semences. Avec son programme de recherche suisso-colombien, il démontre qu’améliorer la génétique des microbes plutôt que celle des plantes elles-mêmes peut potentiellement augmenter de manière significative la production de plantes essentielles à la sécurité alimentaires telles que le manioc, la pomme de terre ou le riz. L’utilisation de champignons mycorhiziens offre par ailleurs une alternative écologique extrêmement intéressante à l’utilisation intensive d’engrais phosphatés.
De la Colombie à l’Afrique subsaharienne
Au vu des excellents résultats obtenus en Colombie, le FNS renouvelle son soutien en finançant à hauteur de CHF 800’000 un nouveau projet interdisciplinaire qui associera les généticiens du groupe du Prof. Ian Sanders et les agronomes de la National University of Colombia avec des agronomes de l’International Institute for Tropical Agriculture au Kenya. Le projet aura pour but le développement génétique de nouvelles souches de champignons mycorhiziens visant à améliorer la production de manioc au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda. Le projet, d’une durée initiale de trois ans avec une possibilité de prolongement, devrait démarrer cet été.