28.03.16 - Des chercheurs de l’EPFL ont démontré que l’on pouvait appliquer au phénomène biologique du transport des ions une loi physique sur le transport d’électron à l’échelle nanométrique. De quoi en apprendre un peu plus sur le fonctionnement des canaux ioniques à l’intérieur de nos cellules.
Les cellules du corps humain contiennent toutes dans leurs membranes de minuscules canaux , appelés « ioniques », parce qu’ils favorisent le passage à grande vitesse de certains ions. Ces canaux jouent un rôle central dans le fonctionnement des neurones, des cellules musculaires ou cardiaques, notamment.
Or les canaux ioniques sont extrêmement complexes et de nombreuses questions demeurent. Comment les canaux sélectionnent-ils les ions pouvant circuler - Comment expliquer la formidable conductivité du passage, qui permet aux ions de voyager à très grande vitesse?
A l’EPFL, les chercheurs du Laboratoire de biologie à l’échelle nanométrique, dirigé par Aleksandra Radenovic, ont démontré que le transport des ions pouvait être décrit par une loi physique appelée blocage de Coulomb. Leurs résultats sont publiés dans Nature materials. Leurs observations permettent de mieux comprendre le fonctionnement de ces canaux.
Un îlot de ions
Pour effectuer leurs tests, les chercheurs ont créé un canal ionique artificiel en générant un trou de moins d’un nanomètre dans un matériau en deux dimension appelé disulfure de molybdène (MoS2). Ils ont ensuite placé ce matériau dans un dispositif doté de deux électrodes, avec des deux côtés du matériau un liquide ionisé. En appliquant un voltage, ils ont pu mesurer les variations de courant entre les deux chambres. Dans un système traditionnel, où le trou est plus large (>1nm), le flux des ions ne s’arrête jamais complètement. Avec leur système, les chercheurs ont observé qu’en appliquant une tension basse, des bandes dépourvues de courant - dites «energy gaps» - apparaissaient, prouvant que les ions étaient d’abord retenus, avant de transiter d’un côté à l’autre du minuscule trou lorsque la tension devenait assez importante.
Pour être sûrs de bien interpréter ces «energy gaps», les chercheurs ont procédé d’autres tests, jouant notamment avec le pH du liquide, ce qui modifie la charge du trou. L’oscillation de la conductance induite par le pH a confirmé les premiers résultats, et mené à la conclusion suivante : la façon dont les ions sont transportés peut être expliquée par une loi de physique qui apparaît habituellement lorsque l’on parle du transport d’électrons: le blocage de Coulomb.
Jusqu’ici, le mécanisme de Coulomb était observé en électronique, en particulier dans de petits puits à électrons semi-conducteurs appelés les «quantum dots», capables de retenir les électrons. Ces «îlots» ne peuvent accueillir qu’un nombre restreint d’électrons. Certains d’entre eux doivent les quitter pour faire de la place aux nouveaux arrivants. Les expériences menées par les chercheurs de l’EPFL ont montré que le phénomène du blocage de Coulomb apparaissait également dans le cas du transport de ions, en présence d’un nanopore.
«Plusieurs théoriciens avaient prédit que le blocage de Coulomb pouvait s’appliquer aux canaux ioniques. Dans le cadre de ce travail, nous avons collaboré avec le professeur Massimiliano Di Ventra de l’University of California à San Diego», indique Aleksandra Radenovic. «Nous avons pu démontrer qu’ils avaient raison, en observant pour la première fois le phénomène grâce à nos nanostructures.» Premier auteur de la publication, Jiandong Feng ajoute : «Cette expérience donne beaucoup d’informations sur la façon dont les ions voyagent à travers des nanopores de taille subnanométrique. Ces informations ouvrent la voie à de nombreuses expérimentations dans le futur sur le transport des ions à l’échelle mésoscopique.»
Source:
Feng J, Liu K, Graf M, Dumcenco D, Kis A, Di Ventra M, & Radenovic A. ,Observation of Ionic Coulomb Blockade in Nanopores, Nature Materials
Ce travail a été mené entre le Laboratoire de biologie à l’échelle nanométrique et le Laboratoire d’électronique et structures à l’échelle nanométrique de l’EPFL. Il a été financé par un consolidator grant du fond national suisse (FNS).