Des scientifiques de l’EPFL montrent comment certaines bactéries pathogènes - telles que la mycobactérie qui provoque la tuberculose - utilisent un mécanisme jusqu’ici inconnu afin de coordonner leur division. Cette découverte pourrait contribuer à développer des moyens pour les combattre.
La plupart des bactéries en forme de bâtonnets se divisent en deux vers le milieu après que leur ADN s’est répliqué en toute sécurité et s’est installé aux extrémités opposées de la cellule. Ce processus d’apparence simple exige en réalité une coordination serrée et précise, assurée par deux systèmes biologiques: l’occlusion du nucléoide, qui protège le matériel génétique de la cellule d’une division avant qu’il ne se réplique et se sépare, et le système de la «mini-cellule», qui situe le lieu de la division vers le milieu de la cellule, où un mur séparateur va se former pour la diviser en deux. Toutefois, certaines bactéries pathogènes, par exemple celles à l’origine de la tuberculose, Mycobacterium tuberculosis, ne recourent pas à ces mécanismes. Des scientifiques de l’EPFL viennent pour la première fois de combiner la microscopie optique et la microscopie à force atomique pour repérer la division dans de telles cellules. Ils ont découvert qu’à la place elles utilisent une «structure d’ondes» dans leur longueur afin de marquer de futurs sites de division. Ces découvertes sont publiées dans Nature Microbiology .
Ce travail a été mené conjointement par les laboratoires de John McKinney et de Georg Fantner à l’EPFL. Les scientifiques voulaient savoir comment des bactéries qui ne possèdent pas les gènes nécessaires à l’occlusion du nucléoide ni le système de la mini-cellule décident où, et à quel moment se diviser. C’est important, dès lors que de nombreuses bactéries pathogènes entrent dans cette catégorie et le fait de savoir comment elles se divisent ouvre potentiellement de nouvelles voies pour les combattre.
Les chercheurs se sont concentrés sur Mycobacterium smegmatis, un parent non-pathogène de M. tuberculosis. Ni l’une ni l’autre de ces bactéries n’utilisent les deux systèmes biologiques «conventionnels» pour coordonner leur division, ce qui signifie qu’une approche non-conventionnelle était nécessaire pour les étudier.
Les chercheurs ont combiné deux types de microscopie pour mettre au jour le cycle de vie des bactéries. La première technique a été la microscopie optique, qui utilise des marqueurs fluorescents pour «voir» différentes structures biologiques et des biomolécules. La seconde technique a été la microscopie à force atomique, qui fournit des images à extrêmement haute résolution des structures présentes sur la surface de la cellule, en «sentant» la surface avec une minuscule sonde mécanique, de la même manière qu’une personne aveugle peut se représenter une image mentale à trois dimensions d’un objet en parcourant sa surface de ses mains.
«Cette expérience constitue la plus longue expérience de microscopie à force atomique jamais réalisée sur des cellules en croissance», dit Georg Fantner, tandis que John McKinney ajoute: «Cela illustre la puissance des nouvelles technologies, non seulement pour analyser les choses que nous connaissions déjà mais avec une résolution plus élevée, mais encore de découvrir des choses nouvelles que nous n’avions pas envisagées.»
Pourvus d’un instrument conçu spécialement qui combine les deux techniques, les scientifiques ont créé des séquences accélérées (time-lapses) de longue durée de la croissance et de la division de bactéries portant sur de multiples générations. De manière surprenante, ils ont découvert que les bactéries produisent des structures en forme d’auge ondulantes sur leur longueur, telles des vagues dont les auges seraient des creux. Ces jalons morphologiques sur la surface ondulante des cellules mycobactériennes correspondent aux futurs sites de division cellulaire.
Les auges sont en gros des ondes répétitives, dont les scientifiques ont calculé qu’elles ont une longueur d‘onde de ~1.8 ’m, et une amplitude trop petite pour être résolue avec des microscopes conventionnels (environ 100nm). Ce qui pourrait expliquer pourquoi ces auges en forme d’ondes n’ont jamais été mentionnées jusqu’ici.
Les images des séquences accélérées ont aussi montré qu’après la division de la cellule, la nouvelle cellule «fille» hérite de la structure en forme d’auge ondulante de la cellule «mère», et finalement se divise à l’endroit de l’auge ondulante la plus centrée.
Les auges ondulantes peuvent se former jusqu’à trois générations avant de servir de sites de division. Selon Alexander Eskandarian, auteur principal de l’étude, ces structures morphologiques sont «de loin les jalons les plus précoces connus de futurs sites de division chez les bactéries.» Fondée sur ces observations, la recherche future visera à identifier les mécanismes sous-jacents responsables de la formation et de la propagation des auges ondulantes, et du recrutement de la machinerie de la division cellulaire.
Ce travail a été financé par le Fonds National Suisse (SNSF), l’Innovative Medicines Initiative, le Seventh Framework Programme (EU-FP7) de l’Union européenne, et la European Molecular Biology Organization (EMBO).
Référence
Haig A. Eskandarian, Pascal D. Odermatt, Joëlle X. Y. Ven, Mélanie T. M. Hannebelle, Adrian P. Nievergelt, Neeraj Dhar, John D. McKinney, Georg E. Fantner. Division site selection linked to inherited cell-surface wave-troughs in mycobacteria.Nature Microbiology 26 June 2017. DOI: 10.1038/nmicrobiol.2017.94