Deux morceaux d’anthologie enregistrés dans l’ADN pour l’éternité

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Quelques gouttes d'ADN suffiraient à enregistrer toute la musique du monde!
Quelques gouttes d'ADN suffiraient à enregistrer toute la musique du monde! © 2017 EPFL / Alain Herzog

Une technologie innovante de codage de données dans des brins d’ADN a été utilisée pour sauvegarder deux fleurons du patrimoine, enregistrés au Montreux Jazz Festival et numérisés par l’EPFL. C’est la première fois qu’un patrimoine culturel inscrit à l’Unesco bénéficie d’un tel traitement, qui pourra garantir sa conservation durant des millénaires. La société américaine Twist Bioscience a réalisé l’opération, présentée aujourd’hui dans un démonstrateur conçu à l’EPFL+ECAL Lab.

Tutu, de Miles Davis, et Smoke on the Water, de Deep Purple, font déjà partie de l’Histoire de la musique. Ils viennent d’entrer dans les annales de la science, pour l’éternité. Les enregistrements de ces deux morceaux d’anthologie, numérisés par l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) dans le cadre du Montreux Jazz Digital Project, sont en effet les premières œuvres musicales à avoir été sauvegardées sous la forme de séquences d’ADN, puis décodées pour être à nouveau jouées, sans aucune perte de qualité.

L’exploit a été réalisé par l’entreprise américaine Twist Bioscience avec l’appui de Microsoft Research et de l’Université de Washington. Il repose sur une technologie encore très innovante, mais qui s’appuie sur un processus naturel à l’oeuvre sur Terre depuis des milliards d’années : l’enregistrement d’informations sous forme de brins d’ADN, qui a permis à toutes les espèces vivantes, animales comme végétales, de se perpétuer de génération en génération.

Tout internet dans un carton

Tout stockage d’information numérique repose sur son encodage sous la forme de séquences de « 0 » et de « 1 », puis son enregistrement sur un support physique. L’ADN, quant à lui, est composé de très longues chaînes de nucléotides de quatre types différents (A, T, C, G), qui composent un « code ». Si le principe est comparable, l’efficacité de l’une et de l’autre méthode diffèrent en revanche très largement. Ainsi, enregistrées sous forme d’ADN, toutes les informations qui constituent le réseau internet tiendraient dans un carton à chaussures !

Les récents progrès en biotechnologies mettent aujourd’hui à la portée de l’homme ce que la nature a développé depuis l’apparition de la vie. Il est désormais possible de produire des brins d’ADN artificiels, d’y « enregistrer » n’importe quel code génétique, puis d’analyser cet ADN à l’aide d’un séquenceur pour retrouver l’information originale. Qui plus est, et les fragments préhistoriques préservés dans l’ambre le démontrent, l’ADN est d’une incroyable stabilité. Les molécules synthétiques soigneusement encapsulées peuvent ainsi être conservées durant des millénaires.

Pour démontrer la viabilité de ce procédé, le MetaMedia Center de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne a mis à disposition deux célèbres extraits de concerts du Montreux Jazz Festival, Tutu de Miles Davis, et Smoke on the Water, de Deep Purple. Twist DNA et ses partenaires les ont encodés, transformés en chaînes d’ADN, puis séquencés et décodés pour que les pistes puissent à nouveau être jouées - sans aucune perte de qualité.

Le volume d’ADN synthétisé pour préserver ces deux morceaux est invisible à l’oeil nu, tandis qu’un volume équivalent à un grain de sable suffirait pour enregistrer la totalité des 50 ans d’archives du Festival, inscrites au registre «Mémoire du monde» de l’Unesco ! «Notre partenariat avec l’EPFL pour la numérisation de ces œuvres a pour objectifs non seulement de les valoriser, mais aussi et surtout de les préserver pour les générations futures, souligne Thierry Amsallem, président de la Fondation Claude Nobs. En participant à cette expérience hors normes qui les inscrit dans l’ADN, nous avons la certitude qu’elles pourront être conservées sur un média qui ne sera jamais obsolète ! »

Un nouveau rapport au temps

En primeur et dans le cadre du tout premier Forum ArtTech organisé à l’EPFL, le public a pu écouter des morceaux de musique qui avaient été stocké dans de l’ADN, grâce à un démonstrateur développé au sein de l’EPFL+ECAL Lab. Le dispositif donne à comprendre ce que signifie la conservation de données durant plusieurs millénaires : une révolution qui ouvre des perspectives considérables dans notre rapport à l’information, à la mémoire, au temps. « Pour nous, cela signifie explorer des formes d’interaction radicalement nouvelles avec notre patrimoine, capables de traverser les civilisations », explique Nicolas Henchoz, directeur de l’EPFL+ECAL Lab.

Quincy Jones, ami de longue date du Festival de Montreux, se montre particulièrement enthousiaste à l’annonce de cette avancée technologique : « Grâce aux progrès des nanotechnologies, les gens pourront vivre plus longtemps, et mieux. Or vivre, c’est savoir d’où l’on vient pour pouvoir aller où l’on veut. Mais cela nécessite d’avoir accès à l’histoire ! Avec les faiblesses des méthodes actuelles de conservation des archives, je m’inquiète pour les générations futures, qui pourraient en être privées. Alors mon âme sourit quand j’apprends que l’EPFL, Twist Bioscience et leurs partenaires se réunissent pour préserver la beauté et l’histoire du Montreux Jazz Festival pour les générations futures, dans l’ADN ! J’ai participé à ce festival depuis des décennies et c’est une réunion magnifique de différentes cultures autour de la musique. Absolument magique ! Je suis fier de savoir que la mémoire de ce lieu ne sera jamais effacée. »