Un problème physique vieux de 100 ans résolu à l’EPFL

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© 2017 EPFL
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Des chercheurs de l’EPFL ont trouvé le moyen de contourner une limite physique décrite comme fondamentale depuis plus de 100 ans. Ils ont conçu des résonateurs pouvant stocker des ondes électromagnétiques sur une longue durée, tout en préservant une bande passante élevée. Publiée dans Science, leur recherche ouvre de nombreuses portes, notamment dans le domaine des télécommunications.

A l’EPFL, des chercheurs ont remis en cause une loi fondamentale, et découvert que l’on pouvait stocker davantage d’énergie électromagnétique dans les systèmes de guide d’onde, que ce que l’on pensait jusqu’ici. La découverte a des implications pour les télécommunications. Les scientifiques ont conçu des systèmes capables à la fois de stocker l’énergie pendant une durée prolongée, et de maintenir une bande passante très large. Leur astuce consiste à utiliser des résonateurs et guides d’ondes qu’ils ont rendus asymétriques, en leur appliquant des champs magnétiques.

La recherche vient d’être publiée dans Science. Elle a été menée par Kosmas Tsakmakidis, d’abord à l’Université d’Ottawa, puis au Laboratoire de systèmes bionanophotoniques de l’EPFL, dirigé par Hatice Altug, où le chercheur est désormais post-doctorant.
L’impact potentiel est important pour de nombreux domaines en ingénierie et en physique, et les applications potentielles sont presque infinies. Les télécommunications, la détection optique ou la collecte et le stockage de l’énergie à large bande n’en sont que quelques exemples.

Dans l’immense majorité des systèmes optiques et électroniques, les résonateurs et guides d’ondes sont omniprésents. Leur mission consiste à stocker à court terme de l’énergie sous forme d’onde électromagnétique, puis de la faire circuler. Depuis plus de 100 ans, ces systèmes sont limités par une caractéristique considérée comme «fondamentale», qui veut que la durée de stockage d’une onde est inversement proportionnelle à la largeur de la bande passante. Cela implique qu’il n’est pas possible de stocker durablement de grandes quantités d’information dans des résonateurs ou guides d’ondes, car en augmentant la bande passante, on diminue forcément le temps et la qualité du stockage.

Casser la réciprocité des systèmes
Ce principe a été introduit en 1914 par K.S. Johnson, de la Western Electric Company - ancêtre des Laboratoires Bell-, qui a introduit le concept de Q facteur, selon lequel un résonateur peut soit stocker de l’énergie sur une longue durée, soit avoir une bande passante large, mais pas les deux à la fois. En augmentant le temps de stockage, on diminue la bande passante, et vice-versa. Or une petite bande passante signifie un éventail limité de fréquences (ou couleurs), et donc une quantité d’information limitée. Jusqu’ici, ce concept n’avait jamais été remis en cause. C’est donc avec cette contrainte en tête que physiciens et ingénieurs ont toujours construits leurs systèmes, que ce soit pour produire des lasers, faire marcher des circuits électroniques, ou effectuer des diagnostiques médicaux.

Cette limite appartient désormais au passé. Les chercheurs ont imaginé un système de résonateurs ou guides d’onde hybride, fait de matériau magnéto-optique qui, quand on lui applique un champ magnétique, est capable de stopper l’onde, la retenir pendant une période de temps prolongée, accumulant de larges quantités d’énergie. L’arrêt du champ magnétique permet ensuite de libérer l’impulsion de l’onde, jusqu’ici prise au piège.

Dans ces sytèmes asymétriques et où la réciprocité est annulée, les chercheurs ont remarqué qu’il était possible de stocker une onde pendant une très longue durée, tout en maintenant une bande passante large. La limite traditionnelle a même été pulvérisée par un facteur 1000. Leur étude montre en outre qu’il n’y aurait théoriquement aucune limite en terme de durée de stockage et de largeur de bande dans ces systèmes asymétriques et non-réciproques.

«Quand nous avons réalisé que le temps de stockage n’impactait pas la bande passante dans ces systèmes, cela a été comme une révélation», indique Kosmas Tsakmakidis, premier auteur de la publication. «Les résonateurs que nous avons imaginés sont différents de ce à quoi nous avons été habitués pendant des décennies, pour ne pas dire des siècles.» Hatice Altug ajoute : « Les capacités de stockage sont exploitables aussi bien dans les domaines traditionnels de l’ingénierie que dans les études contemporaines.»

Médecine, environnement et télécommunications
Parmi les exemples d’application se trouve la création de «buffers» tout optiques extrêmement efficaces et rapides dans le domaine des télécommunications. Le rôle de ces derniers est de stocker temporairement l’information qui arrive sous forme de lumière dans les centres à travers les fibres optiques. Ce stockage temporaire, retarde la masse d’information pour mieux la traiter. Or la qualité du stockage était jusqu’ici limité.

La nouvelle technique offre la possibilité de stocker une grande quantité d’informations et d’améliorer le processus. La technique ouvre aussi la voie à de nouvelles applications, comme la spectroscopie sur puce, la collecte et le stockage de lumière à large bande passante ou encore du camouflage optique sur large bande passante (capes d’invisibilité). «Notre contribution est avant tout fondamentale, et nous fournissons un nouvel outil aux chercheurs. Les applications sont donc limitées par la seule imagination», conclut Kosmas Tsakmakidis.