Des scientifiques de l’EPFL ont découvert que des bactéries prédatrices telles que l’agent pathogène responsable du choléra pouvaient voler jusqu’à 150 gènes d’un coup à leurs voisins. Leur étude met en lumière un des mécanismes les plus fondamentaux du transfert horizontal de gènes.
En 2015, des chercheurs de l’EPFL dirigés par Melanie Blokesch ont publié un article pionnier dans la revue Science démontrant que l’agent pathogène responsable du choléra, Vibrio cholerae, utilisait une lance à ressort pour transpercer littéralement les bactéries voisines et voler leur ADN. Selon leurs résultats, ce mécanisme de lance est un système de sécrétion de type VI ou T6SS, un complexe protéique dont de nombreuses bactéries disposent pour la compétition interbactérienne.
L’agent pathogène se sert de son T6SS pour rivaliser avec d’autres bactéries de son environnement aquatique et subtiliser du matériel génétique nouveau, qu’il absorbe et échange contre certaines parties de son propre génome. Ce mode de transfert horizontal de gènes entraîne une évolution rapide et une émergence pathogène. Depuis 1817, V. cholerae a causé sept pandémies de choléra majeures. Selon les données actuelles de l’OMS , aujourd’hui encore, cette maladie tue chaque année plus de 100 000 victimes et infecte jusqu’à quatre millions de personnes, principalement dans les pays pauvres et en développement.
Le groupe de Melanie Blokesch a désormais découvert la quantité d’ADN que V. cholerae peut voler en une seule attaque: plus de 150 000 paires de bases d’acide nucléique, soit environ 150 gènes en une fois (la bactérie du choléra possède environ 4000 gènes au total). Les chercheurs ont calculé ce chiffre en séquençant le génome entier de presque 400 souches de V. cholerae avant et après le vol d’ADN aux bactéries voisines.
Des études antérieures avaient tenté d’établir la quantité exacte d’ADN que des bactéries compétentes pouvaient absorber et intégrer à leur génome en les nourrissant de grandes quantités d’ADN purifié. Toutefois, cette méthode ne reflète pas les conditions naturelles dans lesquelles les bactéries vivent et agissent, étant donné qu’on trouve rarement de longs segments d’ADN libre dans l’environnement. En volant de l’ADN grâce à son T6SS, par contre, V. cholerae peut acquérir des fragments d’ADN longs et fraîchement libérés. Ce comportement bactérien est étroitement lié aux surfaces chitineuses (p. ex. les coquillages) sur lesquelles la bactérie vit habituellement dans les océans et les estuaires.
Les agents pathogènes Vibrio cholerae peuvent absorber de longues séquences de matériel génétique en tuant des bactéries voisines, ce qui favorise une évolution rapide. Crédit: Noémie Matthey/Blokesch lab; EPFL
Pour résoudre ce problème, les chercheurs de l’EPFL ont étudié deux souches indépendantes («non clonales») de V. cholerae dans des cocultures sur de la chitine. Cela leur a permis de déterminer la fréquence et l’ampleur des échanges d’ADN entre les deux souches, dans des conditions plus naturelles.
Cette étude, dirigée par la doctorante Noémie Matthey, a mis en évidence que les souches de V. cholerae qui possèdent un T6SS fonctionnel et activé par la chitine sont beaucoup plus efficaces pour transférer l’ADN que celles qui n’en ont pas. Les bactéries prédatrices ont acquis d’importantes régions génomiques des proies qu’elles ont tuées, jusqu’à 150 000 paires de bases.
Les auteurs concluent que le «mode de vie» environnemental de V. cholerae permet des échanges de matériel génétique avec suffisamment de capacité de codage pour accélérer considérablement l’évolution de la bactérie.
«Cette conclusion est très importante en matière d’évolution bactérienne, souligne Melanie Blokesch. Elle suggère que des bactéries environnementales peuvent partager un patrimoine génétique commun, ce qui peut rendre leur génome très flexible et les microbes susceptibles de s’adapter rapidement.»
Autres contributeurs
Institut Suisse de Bioinformatique/Vital-IT