Des chercheurs de l’EPFL et de l’Université Stanford ont examiné les plus vastes ensembles de données d’applications sur le cycle de fécondité. En analysant les indications consignées par 200 000 utilisatrices des applications Sympto et Kindara pour étudier des schémas comportementaux et l’exactitude des mesures de la santé menstruelle et de l’ovulation, ils ont pu établir des observations à l’échelle de la population concernant les caractéristiques démographiques des utilisatrices.
Image: Modélisation réalisée lors de l’étude pour visualiser les données. Chaque ligne représente une utilisatrice, chaque point un jour. La couleur des points indique des états biologiques présumés: les points rouges désignent les mois; les noirs symbolisent le jour d’ovulation le plus probable; les bleus sont les jours de la phase folliculaire et les jaunes ceux de la phase lutéale. Crédit: L. Symul (EPFL/Stanford)
Pour de nombreuses femmes en âge de procréer, des visites régulières chez un gynécologue ou un autre médecin constituent la façon la plus courante d’évaluer leur santé menstruelle et leur fertilité. Lorsqu’il s’agit d’analyser les changements qui touchent la fécondité, la santé menstruelle et la qualité de vie, on a généralement recours aux souvenirs des patientes, ce qui peut engendrer de considérables imprécisions dans l’évaluation.
En parallèle, nombre de femmes se tournent aujourd’hui vers les applications de sensibilisation à la fertilité (fertility awareness methods, FAM), qui les aident à comprendre leur cycle menstruel. Ces applications sont légion, ce qui montre à quel point elles ont gagné en popularité ces dernières années.
Mais quelle est leur précision? Que recherchent les utilisatrices? Ces outils peuvent-ils aider ces dernières ainsi que leurs gynécologues? Il est difficile de répondre à ces questions, et ce pour une simple raison: ni les visites ni l’utilisation des applications n’ont été étudiées systématiquement à l’échelle de la population pour déterminer et comparer leur précision dans l’évaluation de la santé menstruelle et de la fécondité.
C’est ce à quoi Laura Symul, du Laboratoire d’épidémiologie numérique de l’EPFL, s’est attelée. En collaboration avec l’Université Stanford ( qu’elle a désormais rejointe ), elle a mené une étude à large échelle portant sur 200 000 utilisatrices de deux applications FAM, Sympto et Kindara. Les utilisatrices y ont recours dans le cadre de la méthode dite symptothermique. Ces applications facilitent l’identification des phases fertiles et infertiles au cours du cycle menstruel des femmes en tenant compte de paramètres tels que les fluides cervicaux, la température corporelle au réveil ainsi que d’autres signes biologiques.
Les scientifiques ont pris en compte plus de 30 millions de jours d’observations pour plus de 2,7 millions de cycles menstruels. L’étude poursuivait deux objectifs: premièrement, déterminer ce que les utilisatrices suivent volontairement avec les applications FAM et comment elles le font; deuxièmement, établir si les données enregistrées permettent de détecter et d’estimer précisément le moment de l’ovulation.
En matière de données démographiques et comportementales, l’étude a montré que l’utilisatrice type des applications FAM est âgée d’une trentaine d’années, vit dans un pays occidental (en Europe ou en Amérique du Nord) et présente un IMC sain. Les utilisatrices consignent plus souvent leurs observations si elles notent aussi leurs rapports sexuels. À l’échelle de la population, les signes corporels de fertilité signalés par les femmes révèlent des schémas temporels très proches de ceux qui ont été trouvés par des études cliniques réalisées à petite échelle.
En analysant les données, les chercheurs ont constaté que les femmes qui cherchaient à tomber enceintes consignaient leurs mesures symptothermiques chaque jour pendant une période couvrant jusqu’à 40% de leurs cycles menstruels. Après modélisation des données, ils ont mis en évidence que la durée et la plage moyennes de la phase folliculaire, qui marque le début du cycle menstruel et se termine à l’ovulation, étaient plus larges que ce qu’on pensait jusqu’à présent. En fait, le modèle a montré que seuls 24% des ovulations ont lieu le quatorzième ou le quinzième jour du cycle. Par ailleurs, les données ont révélé que la durée et la plage de la phase lutéale (la deuxième partie du cycle menstruel) correspondaient aux résultats des études antérieures.
Ces conclusions constituent un moyen abordable d’étudier à large échelle les interactions entre le cycle menstruel et d’autres systèmes physiologiques. «Notre étude fournit une base commune aux utilisatrices et à leurs médecins pour intégrer les données numériques à leurs visites, évaluer leurs cycles menstruels et les comparer avec les statistiques que nous signalons.
Les nouvelles technologies, et en particulier l’automesure, changent la façon dont nous percevons notre corps et notre santé. Tant les utilisatrices que les médecins se demandent quelle est l’utilité de l’automesure numérique et quelles possibilités elle offre. Notre étude montre que très souvent les utilisatrices suivent volontairement leur cycle menstruel et les signes corporels liés à la fertilité, et que ce qu’elles consignent correspond à ce qui est attendu dans la plupart des cas. Ces mesures et observations sont certes brouillées par le bruit et ne sont pas parfaitement régulières, mais elles fournissent de précieuses informations pour déduire les changements hormonaux et le moment de l’ovulation de manière extensible, à la fois dans le temps et en termes de nombre de participants.»
Marcel Salathé, directeur du Laboratoire d’épidémiologie numérique, ajoute: «Cette approche d’épidémiologie numérique contribue à mieux comprendre la santé menstruelle et son lien avec la santé féminine globale, dont l’étude a été gravement négligée par le passé.»
Autres contributeurs
Université de Genève