Des chercheuses et chercheurs de l’EPFL, de Chine, d’Espagne et des Pays-Bas ont créé un microdispositif qui utilise des molécules vibrantes pour convertir la lumière invisible de l’infrarouge moyen en lumière visible. Cette avancée ouvre la voie à une nouvelle catégorie de capteurs compacts destinés à l’imagerie thermique et à l’analyse chimique ou biologique.
Image: Vue artistique des cavités plasmoniques à nanoparticules dans un sillon. Les molécules recouvrent le film d’or et sont prises en sandwich entre le sillon et la nanoparticule (diamètre : 150 nm). Le signal infrarouge d’intérêt provient du dessous du substrat, tandis que le laser de pompe fournissant l’énergie pour la conversion de fréquence provient du dessus. Tous deux sont focalisés par la cavité sur les molécules et interagissent avec leurs vibrations internes pour générer une copie convertie du signal infrarouge à des fréquences visibles (point lumineux). Crédit: Nicolas Antille ( http://www.nicolasantille.com )
La lumière est une onde électromagnétique. Elle est constituée de champs électriques et magnétiques oscillants qui se propagent dans l’espace. Chaque onde est caractérisée par sa fréquence, mesurée en hertz (Hz), qui correspond au nombre d’oscillations par seconde. Nos yeux peuvent détecter des fréquences comprises entre 400 et 750 trillions de Hz (ou térahertz, THz), qui définissent le spectre visible. Les capteurs de lumière des caméras des téléphones portables peuvent détecter des fréquences allant jusqu’à 300 THz, alors que les détecteurs utilisés pour les connexions Internet par fibres optiques sont sensibles à environ 200 THz.
À des fréquences plus basses, l’énergie transportée par la lumière n’est pas suffisante pour déclencher les photorécepteurs de nos yeux et de nombreux autres capteurs. Cela pose problème étant donné la richesse des informations disponibles à des fréquences inférieures à 100 THz, à savoir le spectre de l’infrarouge moyen et lointain. Par exemple, un corps dont la température de surface est de 20°C émet de la lumière infrarouge jusqu’à 10 THz, qui peut être «vue» par imagerie thermique. Par ailleurs, les substances chimiques et biologiques présentent des bandes d’absorption distinctes dans l’infrarouge moyen, autrement dit nous pouvons les identifier à distance et de manière non destructive par spectroscopie infrarouge, qui a une multitude d’applications.
Convertir la lumière infrarouge en lumière visible
Des scientifiques de l’EPFL, de l’Institut de technologie de Wuhan, de l’Université polytechnique de Valence et de l’AMOLF aux Pays-Bas ont mis au point une nouvelle méthode pour détecter la lumière infrarouge en modifiant sa fréquence pour qu’elle corresponde à celle de la lumière visible. Ce dispositif permet d’étendre la «vision» des détecteurs de lumière visible très sensibles et couramment disponibles jusque dans l’infrarouge. Cette avancée est publiée dans la revue Science.
La conversion de fréquence n’est pas une tâche facile. La fréquence de la lumière est une donnée fondamentale qui n’est typiquement pas modifiée en réfléchissant la lumière sur une surface ou en la faisant passer à travers un matériau, en raison de la loi de conservation de l’énergie.
Les chercheuses et chercheurs ont contourné ce problème en ajoutant de l’énergie à la lumière infrarouge avec un médiateur: de minuscules molécules vibrantes. La lumière infrarouge est dirigée vers les molécules où elle est convertie en énergie vibratoire. Simultanément, un faisceau laser de fréquence plus élevée frappe ces mêmes molécules pour fournir l’énergie supplémentaire et convertir la vibration en lumière visible. Pour exalter le processus de conversion, les molécules sont prises en sandwich entre des nanostructures métalliques qui agissent comme des antennes optiques en concentrant la lumière infrarouge et l’énergie laser sur les molécules.
Une nouvelle lumière
«Le nouveau dispositif présente plusieurs caractéristiques intéressantes», explique le professeur Christophe Galland, de la Faculté des Sciences de Base de l’EPFL, qui a dirigé l’étude. «D’abord, le processus de conversion est cohérent, ce qui veut dire que toutes les informations présentes dans la lumière infrarouge d’origine sont fidèlement reproduites dans la lumière visible nouvellement créée. Il permet de réaliser une spectroscopie infrarouge à haute résolution avec des détecteurs standard comme ceux que l’on trouve dans les caméras des téléphones portables. Ensuite, chaque dispositif a une longueur et une largeur de quelques micromètres, ce qui signifie qu’il peut être incorporé dans de grandes matrices de pixels. Enfin, la méthode est très polyvalente et peut être adaptée à différentes fréquences. Il suffit de choisir des molécules ayant des modes vibratoires différents.»
«Toutefois, jusqu’à présent, l’efficacité du dispositif à convertir la lumière est encore très faible», prévient le docteur Wen Chen, principal auteur des travaux. «Nous nous efforçons de l’améliorer», une étape clé vers des applications commerciales.
Autres contributeurs
Université Friedrich Schiller d’Iéna
ReferencesWen Chen, Philippe Roelli, Huatian Hu, Sachin Verlekar, Sakthi Priya Amirtharaj, Angela I. Barreda, Tobias J. Kippenberg, Miroslavna Kovylina, Ewold Verhagen, Alejandro Martínez, Christophe Galland. Continuous-Wave Frequency Upconversion with a Molecular Optomechanical Nanocavity. Science 03 December 2021. abk3106