Deux microbiologistes fribourgeois comptent parmi les scientifiques les plus influents

Selon la société Clarivate analytics, Patrice Nordmann (MD, PhD) et Laurent Poirel (PhD), de l’Université de Fribourg et du Centre national de référence pour la détection précoce des résistances émergentes aux antibiotiques, font partie des scientifiques dont l’influence, en termes de publication, est la plus forte au monde. Entretien croisé avec deux chercheurs, honorés mais au triomphe modeste.

A en croire le dernier classement Highly Cited Researcher du cabinet Clarivate Analytics (2021) vous figurez parmi les 1% des chercheuses et chercheurs dont les travaux des dix dernières années ont été les plus cités par leurs pairs dans leur discipline. Ce nombre est de 102 pour la Suisse toutes disciplines scientifiques confondues dont vous deux pour l’Université de Fribourg. Félicitations! Laurent Poirel: Je ne suis pas un grand partisan de ce type de classement qui, à mon sens, ne veut pas dire grand-chose. Nos collègues dans la discipline savent qui fait vraiment bien les choses, tant en termes de quantité que de qualité. Je prends donc cela avec beaucoup de recul. Cela dit, il faut tout de même trouver des marqueurs pour évaluer les chercheuses et chercheurs. Prendre en compte les citations permet de mesurer l’intérêt non pas du public, mais de celui des spécialistes du domaine. Cela nous conforte dans l’idée que nos travaux sont de qualité et intéressants. Qu’ils soient si souvent cités démontrent que nos pairs s’en sont inspirés pour avancer eux-mêmes dans leurs recherches.

C’est tout de même un motif de fierté? Patrice Nordmann: Est-ce que nous en tirons une grande gloire? Honnêtement, non! Sans vous enlever le mérite qui vous revient, ce bon classement est-il dû en partie au fait que votre domaine de recherche, celui des bactéries résistantes aux antibiotiques, est très porteur? Patrice Nordmann: La résistance aux antibiotiques est, avec les infections virales respiratoires, parmi les thématiques médicales les plus importantes, du fait de la rareté des nouveaux antibiotiques mis sur le marché et de l’émergence de nouvelles résistances. Cela dit, j’ai aussi la faiblesse de penser que notre équipe est très active, avec des collaboratrices et collaborateurs qui travaillent  d’arrache pied avec un souci constant d’obtention de résultats tangibles.

Ce classement vous permettra-il d’obtenir plus de fonds, voire de recruter les meilleur·e·s chercheuses et chercheurs? Laurent Poirel: J’ose espérer que cela change quelque chose, même si on n’en est pas toujours convaincu, notamment du point de vue de l’impact financier. En revanche, cela peut nous permettre d’attirer de jeunes talents, qui recherchent dans ces classements les laboratoires les plus dynamiques.
Patrice Nordmann: Il n’y a pas d’effets concrets de ces classements, si ce n’est indirects. Il est certain que les financements nationaux et internationaux sont liés à la qualité et la quantité des publications Mais ce classement vous donne-t-il au moins une notoriété et une légitimité pour mieux diffuser des messages de prévention? Patrice Nordmann: Oui, mais nos messages s’adressent davantage aux autorités qu’au public, car ce dernier utilise de manière raisonnée les antibiotiques prescrits par les médecins en Suisse; Nous avons eu la chance que la Confédération nous fasse confiance pour la création du NARA en 2017, le Centre de référence pour la détection précoce des résistances émergentes aux antibiotiques. Il s’agit d’un atout important pour le Canton et pour l’Université. Ainsi nous recevons quotidiennement toutes les souches très résistantes provenant des hôpitaux universitaires et cliniques suisses, ce qui permet de les étudier en détails pour avoir une vue générale et précise de ce qui se passe dans le pays. De ce point de vue-là, cette notoriété nous a permis de recevoir un financement via l’Office fédéral de la santé public (OFSP).

J’imagine qu’un tel classement démontre également que les deniers publics sont utilisés à judicieusement? Laurent Poirel: Absolument. La très grande partie de nos ressources nous est fournie par le contribuable. Nous avons donc la mission de faire les choses qui vont avoir des répercussions sur les avancées technologiques, médicamenteuses et scientifiques en général.

Comment cela se traduit-il? Laurent Poirel: Nos données intéressent les industriels, car elles leur permettent de comprendre pourquoi l’un de leurs antibiotiques ne fonctionne plus. En s’y référant, ils pourront développer de nouveaux médicaments sans risquer de s’égarer dans de dispendieuses recherches, dont le succès ne peut d’ailleurs jamais être garantie.

Des scientifiques sur le qui-vive Une étude récente publiée dans la revue The Lancet est venu rappeler, s’il était besoin, que les bactéries résistances aux antibiotiques constitue une véritable menace sanitaire mondiale, un fléau ayant provoqué la mort de plus d’ 1,2 millions de personnes en 2019, essentiellement dans les pays en voie de développement. Chez nous, en revanche, il s’agit d’un problème importé: «Nous ne pouvons pas exclure qu’une personne puisse ramener, par exemple après à une hospitalisation à l’étranger, des bactéries résistantes qui ont vu le jour suite aux mauvaises pratiques locales», déplore Patrice Nordmann.» D’où l’importance du NARA, centre de référence auquel il incombe de détecter l’émergence de bactéries résistantes aux antibiotiques sur le territoire helvétique, de comprendre les nouveaux mécanismes en jeu, puis de tester les molécules à disposition pour permettre aux médecins de traiter l’infection. «Ils ne peuvent pas toujours se tenir au courant des dernières thérapeutiques et des détails des résistances émergentes , explique Patrice Nordmann, c’est notre rôle de les conseiller.»Dans le centre, Patrice Nordmann et Laurent Poirel mettent aussi au point de nouveaux tests de diagnostic pour permettre le repérage rapide des germes et d’administrer rapidement le traitement le plus efficace aux patient·e·s. «Cela nous permet ensuite de prendre les mesures qui conviennent pour éviter une dissémination des bactéries, ajoute Laurent Poirel, par exemple en suggérant l’isolement du porteur.»Avec certain·e·s collègues européens, ils ont également créé, en 2021, l’Institut européen des résistances émergentes aux antibiotiques, concernant les résistantes émergentes aux antibiotiques qui groupent des unités en Allemagne, en Italie, au Portugal et en France. «Nous avons ainsi une vue plus globale de la situation sur le continent européen et des collaborations très intéressantes», se réjouit Patrice Nordmann.

Une problématique dont se détourne les grands groupes Pour éviter les décès provoqués par les résistances, 300 en Suisse et 33’000 dans l’Union européenne selon l’OFSP, il faudrait, pour reprendre les termes de Patrice Nordmann, «toujours avoir un coup d’avance», autrement dit développer des antibiotiques de nouvelle génération plus efficaces encore. Or, les grands groupes pharmaceutiques ne s’y aventurent que peu, faute de retour sur investissement rapide. L’argent reste, comme souvent, le nerf de la guerre. «L’industriel qui développe un nouvel antibiotique se voit confronté à un double problème, illustre Patrice Nordmann, tout d’abord, des résistances croisées peuvent apparaître avant même que le traitement soit mise en vente sur le marché, ce qui annihile tous les efforts. Ensuite, les médecins risquent de n’utiliser ce médicament que pour les cas extrêmes et donc en quantité vendue très faible. Il y a un véritable problème de marché et donc de rentabilité immédiate.»

Juguler le problème à défaut de le résoudre complètement Au contraire du covid, qui est une infection aigüe, relativement simple à identifier d’un point de vue clinique et biologique, la résistance aux antibiotiques implique une multitude de petits mécanismes, de bactéries différentes qui émergent à bas bruit et donc beaucoup plus difficiles à détecter. Un malade aura la même symptomatologie clinique, qu’il soit affecté par une bactérie sensible ou résistante. «Donc dans un cas, on a une pandémie aigüe dont on viendra à bout, j’en suis convaincu, et, dans l’autre, la diffusion lente et sournoise de nombreuses souches bactériennes, beaucoup plus complexe à contrôler», conclut Patrice Nordmann.

Le NARA en bref Date de création: 1er janvier 2017 Nombre de collaborateurs: 7 Nombre d’échantillons traités en 2021: plus de 800 est maître assistant au Département de médecine.

The long and winding road! Après un détour par l’archéologie, l’alpage, l’enseignement du français et le journalisme, Christian travaille depuis l’été 2015 dans notre belle Université. Son plaisir de rédacteur en ligne? Rencontrer, discuter comprendre, vulgariser et par-ta-ger!

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