Produire des engrais en respectant le climat

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 (Image: Pixabay CC0)
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Des chercheurs de l’ETH Zurich et de la Carnegie Institution for Science montrent comment il serait possible de produire des engrais azotés de manière plus durable. Cela n’est pas seulement nécessaire pour des raisons de protection du climat, mais aussi pour réduire la dépendance vis-à-vis des importations de gaz naturel et pour augmenter la sécurité alimentaire.

Une agriculture intensive n’est possible que si les sols sont fertilisés avec de l’azote, du phosphore et du potassium. Alors que le phosphore et le potassium peuvent être décomposés sous forme de sels, les engrais azotés doivent être fabriqués à grands frais à partir d’azote de l’air et d’hydrogène, la production d’hydrogène étant extrêmement gourmande en énergie. Elle nécessite de grandes quantités de gaz naturel ou - surtout en Chine - de charbon. L’empreinte carbone est d’autant plus grande, la dépendance vis-à-vis des énergies fossiles et donc la vulnérabilité aux chocs de prix sur les marchés de l’énergie sont importantes.

Paolo Gabrielli, Senior Scientist au laboratoire "Reliability and Risk Engineering" de l’ETH Zurich, a étudié avec Lorenzo Rosa, chef de groupe de recherche à la Carnegie Institution for Science à Stanford, USA, différentes voies de production d’engrais azotésneutres en CO2. Dans une étude externe publiée dans la revue spécialisée "Environmental Research Letters", les deux chercheurs concluent qu’un changement dans la production d’azote est possible et qu’il pourrait même améliorer la sécurité alimentaire. Les méthodes de production alternatives ont toutefois des avantages et des inconvénients. Concrètement, les deux chercheurs ont étudié trois alternatives :

  • Comme actuellement, l’hydrogène nécessaire est produit à partir de sources d’énergie fossiles, mais leCO2, gaz à effet de serre, n’est pas émis dans l’atmosphère, mais capté dans les usines de production et stocké durablement dans le sous-sol(Carbon Capture and Storage, CSS). Cela nécessite non seulement une infrastructure pour le captage, le transport et le stockage duCO2, mais également davantage d’énergie. Il s’agit néanmoins d’une méthode de production relativement efficace. Toutefois, cela ne change rien à la dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles.
  • La production d’engrais peut être électrifiée en produisant l’hydrogène par électrolyse à partir de l’eau, ce qui nécessite toutefois environ 25 fois plus d’énergie que la production actuelle avec du gaz naturel. Il faudrait donc beaucoup d’électricité provenant de sources neutres pour le climat. Cette approche est intéressante pour les pays qui disposent d’une grande quantité d’énergie solaire ou éolienne. Toutefois, il est prévu d’électrifier également d’autres secteurs économiques pour des raisons de protection du climat. Cela pourrait donc entraîner une concurrence pour l’électricité durable.
  • Si l’on produit de l’hydrogène pour la production d’engrais à partir de la biomasse, il faut beaucoup de terres arables et d’eau. Cette méthode de production fait donc ironiquement concurrence à la production alimentaire. Selon les auteurs de l’étude, elle est judicieuse si l’on utilise de la biomasse de déchets, par exemple des déchets de récolte.

Selon les scientifiques, la clé du succès devrait être de combiner toutes ces approches en fonction du pays, des conditions locales et des ressources disponibles. De plus, les engrais azotés doivent être utilisés de manière plus efficace, souligne Lorenzo Rosa : "Si l’on s’attaque aux problèmes tels que la surfertilisation et le gaspillage alimentaire, on peut également réduire les besoins en engrais".

L’Inde et la Chine en danger

Dans le cadre de l’étude, les scientifiques ont également examiné dans quels pays du monde la sécurité alimentaire est actuellement particulièrement menacée en raison de leur dépendance vis-à-vis des importations d’azote ou de gaz naturel. Ces pays sont particulièrement vulnérables aux chocs de prix sur les marchés du gaz naturel et de l’azote : Inde, Brésil, Chine, France, Turquie et Allemagne.

La décarbonisation de la production d’engrais réduirait cette vulnérabilité dans de nombreux cas et augmenterait la sécurité alimentaire. En effet, au moins dans le cas d’une électrification au moyen d’énergies renouvelables ou de l’utilisation de la biomasse, on réduit la dépendance aux importations de gaz naturel. Les chercheurs relativisent toutefois ce point : toutes les méthodes de production d’engrais azotésneutres en CO2 sont plus gourmandes en énergie que l’utilisation actuelle d’énergie fossile. On resterait donc vulnérable à certains chocs de prix, non pas directement sur les marchés du gaz naturel, mais éventuellement sur ceux de l’électricité.

Changement chez les producteurs d’azote

Les pays producteurs d’engrais azotés devraient connaître des changements dans le cadre d’une décarbonisation, comme le montrent les scientifiques dans leur étude. Les plus grands pays exportateurs d’azote sont aujourd’hui la Russie, la Chine, l’Egypte, le Qatar et l’Arabie saoudite. A l’exception de la Chine, qui doit importer du gaz naturel, tous ces pays disposent de leurs propres réserves de gaz naturel. A l’avenir, ce sont plutôt les pays qui produisent beaucoup d’électricité solaire et éolienne et qui disposent en même temps de réserves suffisantes de terre et d’eau, comme le Canada et les Etats-Unis, qui devraient en profiter.

"Nous ne pouvons pas faire autrement que de rendre les besoins en azote de l’agriculture plus durables à l’avenir, tant pour atteindre les objectifs climatiques que pour des raisons de sécurité alimentaire", explique Paolo Gabrielli. La guerre en Ukraine influence le marché mondial des denrées alimentaires, non seulement parce que le pays exporte normalement beaucoup de céréales, mais aussi parce que les prix du gaz naturel ont augmenté suite à la guerre. C’est pourquoi les prix des engrais azotés ont également augmenté. Malgré cela, on sait que certains fabricants d’engrais ne peuvent plus produire de manière rentable en raison des coûts exorbitants du gaz et qu’ils ont arrêté la production, du moins temporairement.

Référence bibliographique

Rosa L, Gabrielli P : Energy and food security implications of transitioning synthetic nitrogen fertilizers to net-zero emissions, Environmental Research Letters 2022, doi : externe page 10.1088/1748-9326/aca815