Un nouvel élément quantique en graphène

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 (Image: Pixabay CC0) (Image: Pixabay CC0)

Pour la première fois, des chercheurs ont réussi à construire un composant supraconducteur en graphène, qui est cohérent au niveau quantique et sensible aux champs magnétiques. De nouvelles perspectives intéressantes s’ouvrent ainsi à la recherche fondamentale.

Cela fait moins de 20 ans que Konstantin Novoselov et Andre Geim ont réussi pour la première fois à produire des cristaux bidimensionnels plats composés d’une seule couche d’atomes de carbone. Depuis lors, le matériau appelé graphène a connu une carrière remarquable. En raison de sa résistance exceptionnelle, il n’est pas seulement utilisé aujourd’hui pour renforcer des produits comme les raquettes de tennis, les pneus de voiture ou les ailes d’avion. Le graphène est également un objet d’étude stimulant pour la recherche fondamentale, car les physiciens découvrent régulièrement de nouveaux phénomènes étonnants qui n’apparaissent pas dans d’autres matériaux.

Le bon tour

Les cristaux de graphène à deux couches, dans lesquels les deux couches atomiques sont légèrement tordues l’une par rapport à l’autre, sont particulièrement intéressants pour les chercheurs. C’est ainsi que des chercheurs du groupe de Klaus Ensslin et Thomas Ihn au Laboratoire de physique des solides de l’EPF de Zurich ont pu montrer il y a environ un an qu’il était possible de construire des contacts Josephson avec du graphène tordu, en quelque sorte les éléments de base des composants supraconducteurs.

Sur la base de ce travail, les chercheurs ont réussi à fabriquer le premier SQUID supraconducteur (SQUID, pour superconducting quantum interference device en anglais) à partir de graphène torsadé, démontrant ainsi l’interférence de quasi-particules supraconductrices. Les SQUIDs conventionnels sont déjà utilisés dans la pratique dans différents domaines, par exemple en médecine, en géologie ou en archéologie. Ces capteurs sensibles sont capables de mesurer les plus petits changements dans les champs magnétiques. Toutefois, les SQUID ne fonctionnent qu’avec des matériaux supraconducteurs, ce qui explique qu’ils doivent être refroidis à l’hélium liquide ou à l’azote lorsqu’ils sont en service.

Dans la technologie quantique, les SQUIDs sont utilisés comme bits quantiques (qubits), c’est-à-dire comme éléments avec lesquels des opérations quantiques peuvent être effectuées. "Les SQUIDs sont à la supraconductivité ce que les transistors sont à la technologie des semi-conducteurs : l’élément de base à partir duquel on peut ensuite construire des circuits plus complexes", explique Ensslin.

Le spectre s’élargit

Les SQUIDs en graphène fabriqués par le doctorant Elías Portolés ne sont pas plus sensibles que les SQUIDs traditionnels en aluminium et doivent également être refroidis à des températures basses, inférieures à 2 degrés au-dessus du zéro absolu. "En ce sens, il ne s’agit pas d’une percée pour la technologie SQUID en tant que telle", affirme Ensslin sans équivoque. Le spectre d’utilisation du graphène s’élargit toutefois sensiblement. "Il y a cinq ans déjà, nous avons pu montrer qu’il était possible de construire des transistors à électrons uniques avec du graphène. Maintenant, nous y ajoutons la supraconductivité", explique Ensslin.

Ce qui est remarquable, c’est que le comportement du graphène peut être contrôlé de manière ciblée par l’électrode raccordée. Selon la tension que l’on applique, le matériau est isolant, conducteur ou justement supraconducteur. "Toute la diversité des possibilités de la physique des solides est à disposition", estime Ensslin.

Il est en outre intéressant de constater qu’il est désormais possible de combiner dans un seul matériau les deux composants de base d’un semi-conducteur (transistor) et d’un supraconducteur (SQUID). Cela permet de construire des opérations de commutation d’un genre nouveau. "Normalement, on fabriquerait le transistor en silicium et le SQUID en aluminium", explique Ensslin. "Ce sont des matériaux différents qui nécessitent des technologies de traitement différentes".

Unefabrication extrêmement exigeante

Bien que la supraconductivité dans le graphène ait été découverte il y a cinq ans par un groupe du MIT, il n’y a peut-être qu’une douzaine de groupes expérimentaux dans le monde qui observent la supraconductivité dans le graphène. Encore moins sont en mesure de transformer le graphène supraconducteur en un composant fonctionnel.

Le défi réside dans le fait que les scientifiques doivent effectuer plusieurs étapes de travail fragiles les unes après les autres : Tout d’abord, ils doivent ajuster les couches de graphène avec un angle précis les unes par rapport aux autres. Viennent ensuite les autres étapes, comme le raccordement des électrodes ou la gravure des trous. Si l’on chauffait le graphène, comme c’est souvent le cas dans les technologies de salle blanche, les deux couches se remettraient immédiatement en parallèle. "Toute la technologie standard des semi-conducteurs doit donc être adaptée", explique Portolés. "Cela rend la tâche extrêmement exigeante".

Des systèmes hybrides comme vision

Ensslin voit déjà plus loin : "Actuellement, on étudie des technologies très différentes pour les qubits, qui ont toutes leurs avantages et leurs inconvénients. La plupart de ces technologies sont étudiées par différents groupes de recherche au sein du Pôle de recherche national Quantum Science and Technology (QSIT). Si l’on parvient maintenant à coupler deux de ces systèmes à l’aide du graphène, on pourrait peut-être aussi combiner leurs avantages. "On aurait alors deux systèmes quantiques différents sur le même cristal", explique Ensslin.

De nouvelles possibilités s’offrent également à la recherche sur la supraconductivité. "Grâce à ces composants, nous comprendrons peut-être mieux comment la supraconductivité se produit dans le graphène", estime Ensslin. "Aujourd’hui, nous savons seulement qu’il existe différentes phases de supraconductivité dans ce matériau. Mais nous n’avons pas encore de modèle théorique pour les expliquer".

Référence bibliographique

Portolés E Iwakiri S, Zheng G, Rickhaus P, Taniguchi T, Watanabe K, Ihn T, Ensslin K, de Vries FK : A tunable monolithic SQUID in twisted bilayer graphene. Nature Nanotechnology, 24 octobre 2022. doi : page externe 10.1038/s41565’022 -01222-0

Félix Würsten