Le cerveau des mouches révèle des différences selon le sexe

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Neurones et cellules de la glie dans la moelle nerveuse ventrale d’une lar
Neurones et cellules de la glie dans la moelle nerveuse ventrale d’une larve de drosophile (analogue de la moelle épinière). Crédit : B. McCabe (EPFL)

Grâce à des outils génétiques qui permettent aux ordinateurs de compter de manière précise les neurones sur des images microscopiques, des chercheuses et chercheurs de l’EPFL ont estimé avec une exactitude sans précédent le nombre de neurones et d’autres types de cellules présents dans le cerveau de larves de mouche à vinaigre, et découvert que les femelles avaient sensiblement plus de neurones que les mâles.

La détermination du nombre de cellules cérébrales est essentielle dans l’étude de la structure et du fonctionnement du cerveau. Or, compter des neurones sur des images microscopiques prend du temps et fatigue beaucoup l’oeil humain. Pour remédier à ce problème, les chercheuses et chercheurs découpent généralement le tissu cérébral, puis comptent le nombre de cellules dans une section pour évaluer le nombre total de neurones présents dans le cerveau. Mais ces méthodes sont source d’erreurs, car elles supposent que le nombre de neurones ou d’autres cellules est le même dans le cerveau tout entier. Aujourd’hui, des scientifiques de l’EPFL ont mis au point une nouvelle approche permettant d’identifier, avec une précision et une vitesse dépassant les capacités humaines, les cellules présentes dans le cerveau intact de larves de drosophile (mouche à vinaigre), un type d’organisme important en neurosciences.

Les résultats ont révélé la présence de moins de neurones et de beaucoup plus de cellules gliales - un type de cellule qui soutient et protège les neurones - que ce que l’on pensait. Cette équipe a également découvert des différences inattendues entre le cerveau des larves mâles et celui des larves femelles, ces dernières ayant sensiblement plus de neurones que les premières.

«Pour le moment, les scientifiques tentent de faire en sorte que les robots ou ordinateurs parviennent à solutionner les problèmes que les êtres humains résolvent habituellement», déclare Brian McCabe, auteur principal de l’étude, directeur du Laboratoire de génétique et de maladies neurales et professeur à la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL. «Nous essayons de retrouver les ordinateurs à mi-chemin en rendant le problème plus facile à résoudre pour eux.» Par exemple, lorsque les neuroscientifiques observent des cellules nerveuses, ils en marquent l’ensemble de la surface. Les neurones peuvent avoir des structures extrêmement complexes. Comme les autres cellules, ils ont un corps de forme arrondie où se trouvent le noyau et les autres structures cellulaires. Mais les neurones ont quelque chose que les autres cellules n’ont pas: des protubérances complexes qui s’étendent du corps cellulaire pour transporter les signaux électriques et chimiques à l’intérieur et à l’extérieur de la cellule. «Pour les ordinateurs, c’est très difficile à mesurer», rapporte Brian McCabe.

Dans leur étude de larves de drosophiles, Wei Jiao, scientifique postdoctorante au laboratoire de Brian McCabe et ses collègues ont eu recours à des outils génétiques pour exprimer un marqueur fluorescent qui ne ferait briller que le noyau des neurones. Ils ont ensuite représenté par imagerie le cerveau des larves à l’aide d’une technique de microscopie sophistiquée qui permet aux chercheuses et chercheurs de créer une image 3D d’un échantillon sans l’endommager. Enfin, l’équipe a demandé à des ordinateurs d’inspecter et d’analyser les images microscopiques. «Sur ces images, le neurone est représenté par un simple point, et la vision par ordinateur n’a pas à rechercher des formes 3D complexes, il lui suffit de compter les points», explique Brian McCabe.

Grâce à cette approche, l’équipe a découvert que le cerveau des larves femelles possédait environ 10 300 neurones, soit 15 à 30% de moins par rapport aux estimations précédentes, et environ 3 800 cellules gliales, trois fois plus que ce que l’on prévoyait.

Le cerveau des larves mâles possède quant à lui environ 9 400 neurones, soit près de 10% de neurones en moins que celui des larves femelles. En revanche, il possède environ 4 % de cellules gliales de plus que le cerveau de ces dernières, d’après l’équipe de recherche. «Au stade larvaire, la drosophile n’a pas d’organe sexuel externe. Nous avons donc été surpris de constater une aussi grande différence», poursuit Brian McCabe.

D’autres analyses réalisées par des mathématiciennes et mathématiciens dirigés par Kathryn Hess, directrice du Laboratoire pour la topologie et les neurosciences et professeure à la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL, ont confirmé des différences cérébrales liées au sexe. Lorsque l’équipe de recherche a analysé les données à l’aide de méthodes issues d’un domaine des mathématiques, la topologie, qui étudie la forme des données, il s’est avéré qu’elle pouvait prédire avec une précision de 99% le sexe de l’animal en se fondant uniquement sur la topologie de son cerveau. «La structure globale émergente du cerveau mâle semble être différente de celle du cerveau femelle», déclare Kathryn Hess. Les résultats ont été publiés dans le journal scientifique eLife .

Bien que l’on n’ait à l’heure actuelle aucune explication pour ces différences de sexe, Brian McCabe émet l’hypothèse que les différences comportementales pouvaient contribuer à la variation du nombre de neurones et de cellules gliales entre les cerveaux mâle et femelle. Cependant, il ajoute qu’au vu des résultats, les chercheuses et chercheurs étudiant les comportements ou les connexions cérébrales devraient examiner les deux sexes.

Maintenant qu’ils ont déterminé avec précision le nombre de cellules cérébrales que possèdent les larves de drosophile, ils souhaitent étudier le mode de connexion des neurones entre eux et leur fonction dans le cerveau. Pour y parvenir, Brian McCabe envisage d’utiliser un ensemble similaire de technologies qui associent des outils génétiques à l’imagerie et à l’analyse de données assistée par ordinateur - une approche que les chercheuses et chercheurs ont baptisée «robogénétique», ou génétique pour ordinateurs. La robogénétique pourrait dynamiser l’analyse de données assistée par ordinateur et permettre ainsi aux théoriciennes et théoriciens d’étudier les données biologiques, selon Brian McCabe. Qui ajoute qu’une telle approche interdisciplinaire est l’un des objectifs du Centre d’imagerie de l’EPFL, un pôle d’imagerie et d’analyse avancées récemment ouvert.

References

Wei Jiao, Gard Spreemann, Evelyne Ruchti, Soumya Banerjee, Samuel Vernon, Ying Shi, R Steven Stowers, Kathryn Hess, Brian D McCabe. Intact Drosophila central nervous system cellular quantitation reveals sexual dimorphism. Elife 08 July 2022. DOI:  10.7554/eLife.74968