
03 novembre 2022 Les relations politiques et économiques mondiales sont considérées depuis des décennies comme la voie royale vers une plus grande prospérité. Elles ont donc été constamment développées et intensifiées. Ces derniers temps, la mondialisation s’est toutefois essoufflée : Les gens sont plus critiques qu’auparavant vis-à-vis de l’intégration politique et économique des pays, c’est-à-dire de l’ouverture des marchés des biens, des services et du travail, ainsi que de la limitation des possibilités de décision politique. On observe même une tendance inverse, une désintégration. Le Brexit, la politique commerciale américaine plus protectionniste, une certaine dérive au sein de l’UE ou les tensions dans les relations entre la Suisse et l’UE en sont des exemples’, explique Rolf Weder.
Le professeur d’économie extérieure et d’intégration européenne à l’Université de Bâle et ses co-auteurs à Bâle et à l’Université Chapman (États-Unis) ont voulu savoir comment la perspective de gains résultant de la mondialisation affecte le comportement des individus. En d’autres termes, le consentement à l’intégration économique dépend-il du montant absolu et de la répartition des bénéfices potentiels ? Les chercheurs en font état dans le journal Experimental Economics.
Différents scénarios envisagés
Pour le déterminer, les chercheurs ont mené une expérience avec 900 personnes. Dans ce scénario fictif, l’intégration économique laissait entrevoir des gains financiers plus élevés pour les participants à l’étude que dans une économie fermée. Cependant, il était difficile de réaliser effectivement ces gains et ils devaient être obtenus par un comportement coopératif.Les chercheurs ont examiné comment les gains potentiels influencent le comportement des acteurs en observant le comportement des sujets dans différents scénarios. Ainsi, les gains variaient en fonction du groupe de traitement (’treatment’) et étaient répartis différemment. Les acteurs pouvaient ensuite décider, sur la base des expériences faites, s’ils voulaient continuer dans une économie intégrée ou revenir à l’indépendance économique.
Cette méthodologie a l’avantage de nous permettre de contrôler de nombreux facteurs d’influence. C’était décisif pour la question étudiée", explique Rolf Weder. Les données obtenues ont permis une évaluation ciblée qui n’aurait guère été possible en dehors du laboratoire.
Les expériences pèsent plus lourd que les bonnes perspectives
L’expérience confirme que tout le monde ne profite pas de la mondialisation, même si l’intégration promet des gains potentiels pour tous. La répartition inégale des bénéfices n’a cependant pas d’influence sur la mesure dans laquelle les acteurs soutiennent l’intégration économique et sur la mesure dans laquelle ils se comportent de manière coopérative afin de récolter les bénéfices promis.L’adhésion à la mondialisation dépend plutôt de l’expérience individuelle que chacun a de l’intégration économique. Nous pouvons donc qualifier les acteurs de rationnels sur le plan économique. Nous ne nous attendions pas à une telle clarté’, explique l’économiste. De plus, les expériences personnelles ont généralement plus de poids que les extrapolations ou les promesses. Dans le contexte de l’expérience, montrer aux gens les bénéfices potentiels de la mondialisation ne servirait donc pas à grand-chose pour les convaincre des avantages de l’intégration économique.
Perte ne signifie pas automatiquement rejet
Inversement, cela signifie que plus les individus peuvent profiter facilement des avantages, plus ils soutiennent la mondialisation. La probabilité qu’ils fassent partie des perdants diminue donc en même temps. La confiance dans les institutions centrales qui stabilisent l’économie mondiale est un facteur clé. Or, il y a actuellement un grand déficit dans ce domaine", fait remarquer Weder.Mais les perdants de la mondialisation ne sont pas non plus fondamentalement opposés à l’intégration économique et politique. Plus l’Etat les soutient temporairement par des mesures sociales et en atténue ainsi les conséquences, moins ils sont hostiles. ’C’est à mon avis une confirmation des mécanismes établis dans des pays comme la Suisse et cela montre les faiblesses de systèmes comme celui des Etats-Unis’, explique Weder.
Il serait intéressant d’étudier comment les gens réagissent lorsqu’ils ont la possibilité de compenser les perdants, c’est-à-dire de soutenir leurs pertes en cédant une partie de leurs propres bénéfices. Nous n’en sommes qu’au début de ce type d’analyse en laboratoire’, conclut-il.
Publication originale
Gabriele Camera, Lukas Hohl, Rolf Weder
L’inégalité, un obstacle à l’intégration économique ? Une expérience.
Experimental Economics (2022), doi : 10.1007/s10683’022 -09777-4