Entre augmentation de la population, guerres et bouleversements climatiques, la chaîne alimentaire humaine doit se réinventer «du champ à l’assiette», dans une perspective de durabilité. Un domaine d’investigation gigantesque et particulièrement stimulant pour des scientifiques de tous horizons. Notre dossier explore une partie de ce qui mijote, dans les labos et dans les champs.
Nourrir 10 milliards de bouches en 2050? C’est un défi colossal quand on sait qu’aujourd’hui déjà un humain sur dix souffre de la faim et près d’un sur trois ne peut pas s’alimenter correctement. Pour accomplir l’Objectif de développement durable (SDG) N° 2 des Nations unies, «plus de faim en 2050», il faudra donc réussir à alimenter 3 milliards de personnes de plus et améliorer l’accès à la nourriture de 2 milliards d’autres. Tout cela dans un contexte où guerres et changement climatique compromettent le potentiel agricole de gigantesques surfaces aujourd’hui arables.
Loin de céder au découragement, nombre de scientifiques aux quatre coins du globe planchent sur des innovations susceptibles de modifier le cours des choses. À la lumière des expériences du passé, il est évident que la solution ne réside pas dans une course à l’intensification des cultures - bien au contraire: il a été prouvé que les grandes monocultures, encore largement pratiquées dans de nombreux pays, sont désastreuses en termes de biodiversité.
En outre, «on réalise aujourd’hui que la plupart des variétés de céréales modernes, issues de la sélection artificielle, ont une valeur nutritive largement inférieure à celle des variétés primitives», relève ainsi Ismahane Elouafi, scientifique en chef de la FAO, le Programme des Nations unies pour l’alimentation. « L’agriculture est responsable aujourd’hui du tiers des émissions de CO2 d’origine humaine - et pourtant certaines techniques de culture seraient en mesure de séquestrer d’énormes quantités de carbone dans les sols tout en améliorant la production », explique Sara Bonetti, responsable du Laboratoire d’hydrologie et de géomorphologie de l’EPFL et spécialiste des sols.
Coups de pouce technologiques
Même s’il serait illusoire de compter sur la technologie pour résoudre tous les problèmes alimentaires présents et à venir, des chercheuses et des chercheurs de tous horizons se frottent à ce défi passionnant et proposent d’ores et déjà des solutions innovantes. Celles-ci s’appliquent tout au long de notre chaîne alimentaire, de la sélection, modification et germination des graines à leur culture - en plein champ, en serre ou hors sol, voire sur les façades des immeubles - aux soins chimiques, robotisés ou naturels apportés aux plantes, à la récolte, au transport, au conditionnement et à la transformation des aliments. Voire à la création en laboratoire de nourriture purement synthétique, ou reposant sur des processus biologiques traditionnels mais réinventés - tels que la fermentation sèche.
Autour du Technion d’Israël, toute une constellation de start-up s’articule autour des questions d’alimentation (lire le reportage de heidi.news). En Europe, des organisations mettent en relation des chercheurs et des agriculteurs afin de tester des technologies innovantes ou de nouvelles techniques de culture - c’est le cas par exemple de l’Agropôle de Molondin, dans le canton de Vaud, dont l’EPFL est partenaire ou de la Swiss Food & Nutrition Valley, dont l’EPFL est un des membres fondateurs.
Consommer mieux
Les modes de consommation sont eux aussi l’objet de toutes les attentions, car pendant que beaucoup meurent de faim, des milliards d’individus sont, eux, en situation de surpoids, et consomment - entre autres - trop de viande, dont le bilan carbone est lourd. Et ce sont souvent les mêmes qui génèrent le plus de gaspillage : cumulé aux pertes liées à la production, celui-ci se monte au niveau mondial au tiers de toute la production agricole. Il existe pourtant des moyens de le réduire, tout au long de la chaîne de valeur - jusqu’à l’assiette, comme l’a prouvé une expérience menée dans les cafétérias de l’EPFL.
Ces chiffres font dire à la FAO que le défi est à notre portée, mais pas sans efforts. Les analyses de l’organisation onusienne ne font pas que poser le constat, mais proposent des améliorations concrètes, qui se heurtent parfois aux écueils des intérêts industriels, politiques, ou à un certain conservatisme du milieu agricole. Couplé aux travaux des scientifiques et moyennant beaucoup de dialogue et de collaborations, tout doit être mis en oeuvre pour que ces efforts finissent par payer. Pour des milliards de personnes, c’est une question vitale.