A l’heure actuelle, les émissions de dioxyde de carbone dues aux activités humaines représentent environ 42 milliards de tonnes par an. Or, d’après les calculs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), seules 300 à 600 milliards de tonnes environ pourraient venir s’ajouter à partir de 2020, sans quoi l’objectif d’un réchauffement global limité à 1,5 °C ne pourra être atteint. Une conclusion à laquelle Evangelos Panos, du Laboratoire d’analyse des systèmes énergétiques du PSI, souscrit également: «Les choses pourraient devenir serrées, car dans 70 % de nos scénarios, le monde dépassera la marque des 1,5 °C au cours des cinq prochaines années», affirme-t-il.
Quelles sont les mesures climatiques qui ont le plus d’impact?
Dans le contexte du changement climatique, de nombreuses décisions politiques, économiques et sociétales doivent être prises. Elles s’assortissent toutefois de nombreuses incertitudes. Les responsables cherchent, et c’est compréhensible, des bases fiables pour répondre, par exemple, à l’une des questions centrales: quelles sont les mesures qui ont l’effet le plus important pour atteindre l’objectif zéro émission nette, que la Suisse s’est donné, tout en étant avantageuses sur le plan économique? Une vaste simulation numérique, développée précisément dans ce but, fournit des réponses. Elle connecte des modèles climatiques avec des modèles économiques et 1 200 technologies de production et d’utilisation de l’énergie, mais aussi de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dans le cadre de l’étude, un superordinateur a calculé 4000 scénarios pour 15 régions de la planète, en tenant compte chaque fois des évolutions possibles d’une décennie à l’autre jusqu’en 2100. «Pour ce faire, on a besoin de technologies d’analyse des données et de visualisation», ajoute James Glynn, coauteur et responsable de la plateforme d’analyse de modélisation des systèmes énergétiques à la Columbia University, aux Etats-Unis. Le fichier final pèse 700 gigaoctets. L’article de recherche qui lui est consacré a été publié dans la revue spécialisée Energy Policy.Ce qui rend le travail d’Evangelos Panos et de ses coauteurs si spécial, ce sont leurs modèles d’évaluation intégrés, qui ont été les premiers à tenir compte des incertitudes inhérentes aux modèles. En règle générale, les scénarios calculés à ce jour partent du principe que tous les paramètres pour le futur sont connus, par exemple la date à partir de laquelle une technologie sera disponible et ce qu’elle coûtera, ou encore quels seront les potentiels de développement des énergies renouvelables. Les calculs du GIEC se concentrent par ailleurs uniquement sur les technologies, autrement dit sur la question de savoir quels seront les effets climatiques si le choix porte sur telle ou telle technologies. Les incertitudes des modèles climatiques et la réaction du climat à la croissance économique sont laissées de côté, ainsi que nombre d’autres incertitudes, comme celles liées à l’évolution de la population ou aux mesures politiques. «La contribution la plus importante de notre recherche est qu’elle permet aux décideurs politiques de prendre des décisions concrètes sur des mesures de protection du climat, en pleine connaissance des incertitudes qui existent», explique Brian Ó Gallachóir de l’University College Cork, en Irlande, et également coauteur.
18 facteurs d’incertitude et 72 000 variables
Lorsque les chercheurs veulent calculer des scénarios qui incluent de nombreuses variables et incertitudes, ils utilisent souvent la méthode dite de Monte Carlo. La méthode de Monte Carlo ne prédit pas l’avenir. «A la place, elle crée une sorte de carte de données avec des voies de décision hypothétiques», explique Evangelos Panos. C’est également le cas dans la présente étude: l’équipe a fait varier 72 000 variables pour chaque scénario. «Nous avons pris en compte 18 facteurs d’incertitude, dont la croissance démographique et économique, la sensibilité au climat, le potentiel des ressources, l’impact des changements dans l’agriculture et la sylviculture, le coût des technologies énergétiques et le découplage de la demande énergétique et du développement économique», détaille James Glynn de la Columbia University.Une base solide pour les voies nationales qui mènent à la transition énergétique
Pour décomposer des scénarios individuels, en mettant l’accent sur les questions politiques et économiques relatives aux différentes voies nationales qui mènent à la transition énergétique, il faut tenir compte de paramètres supplémentaires, spécifiques à chaque pays. «Un système énergétique qui permet d’opérer la transition vers une économie zéro carbone nécessite une forte intensité de capital et la mobilisation des ressources de tous les acteurs», résume Evangelos Panos. Cela suppose des analyses sur mesure au niveau national: «Notre étude fournit une base solide à cet effet», conclut le chercheur.Texte: Bernd Müller