Un matériau singulier pour de l’informatique plus économe en énergie

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Cinthia Piamonteze et Juraj Krempasky travaillant sur une expérience de l’
Cinthia Piamonteze et Juraj Krempasky travaillant sur une expérience de l’étude à l’Institut Paul Scherrer. Crédit: Dominik Kriegner (FZU)

Dans le cadre d’une collaboration, des chercheuses et chercheurs ont découvert une propriété magnétique surprenante d’un matériau exotique. Elle permettrait aux ordinateurs d’utiliser moins d’un millionième de l’énergie nécessaire pour commuter un seul bit.

Le monde de la science des matériaux ne cesse de découvrir ou de fabriquer des matériaux aux propriétés exotiques. Parmi eux, on connaît les multiferroïques. Il s’agit d’une classe unique de matériaux qui peuvent être à la fois magnétisés et polarisés, ce qui signifie qu’ils sont sensibles à la fois aux champs magnétiques et aux champs électriques.

Parce qu’ils présentent ces deux propriétés, les multiferroïques sont devenus très intéressants à des fins commerciales et pour la recherche, avec des applications potentielles allant de l’électronique de pointe au stockage de mémoire de nouvelle génération. En comprenant et en tirant parti des propriétés des multiferroïques, les chercheuses et chercheurs visent à mettre au point des technologies plus efficaces, plus compactes et même plus économes en énergie.

Aujourd’hui, dans le cadre d’une collaboration internationale de recherche, certaines propriétés fascinantes du tellurure de germanium multiferroïque dopé au manganèse (GeTe dopé au Mn) ont été mises en évidence. Le terme «dopé» signifie qu’une petite quantité d’atomes de manganèse (Mn) a été introduite dans la structure cristalline du tellurure de germanium (GeTe) pour modifier ses propriétés. Ces travaux sont prometteurs pour l’avenir de l’informatique économe en énergie, et permettent également de mieux comprendre les comportements collectifs des matériaux multiferroïques.

Le projet a été mené par les professeurs Hugo Dil de l’EPFL, Gunther Springholz de l’Université Johannes Kepler de Linz et Jan Minár de l’Université de Bohême occidentale.

Le GeTe dopé au Mn est connu pour ses propriétés ferroélectriques et magnétiques uniques. Mais la nouvelle étude a révélé qu’il possède également un ordre magnétique différent de celui des ferro-aimants typiques, tels que le fer, qui s’alignent sur un champ magnétique. Au lieu de cela, les scientifiques ont découvert que le GeTe dopé au Mn présentait les caractéristiques d’un ferro-aimant.

Qu’est-ce qu’un ferro-aimant? Contrairement aux aimants «normaux» tels que ceux que nous collons sur nos réfrigérateurs, un ferro-aimant est constitué de deux aimants superposés de forces légèrement différentes. La découverte de ce comportement du GeTe dopé au Mn signifie que nous disposons désormais d’une plus grande flexibilité pour contrôler le sens de l’aimantation, une caractéristique essentielle pour un certain nombre de technologies.

Elle s’est avérée importante car elle a permis aux scientifiques de mettre au point une méthode pour améliorer l’efficacité de la commutation du sens de l’aimantation dans une proportion remarquable de six ordres de grandeur. Au lieu d’utiliser la méthode traditionnelle consistant à appliquer une forte impulsion de courant au GeTe dopé au Mn, ils ont utilisé un petit courant électrique (CA) fluctuant en permanence, suivi d’une petite impulsion de courant au bon moment - un peu comme si l’on poussait une balançoire au bon moment pour la faire monter plus haut avec moins d’effort. Les chercheuses et chercheurs ont appelé ce phénomène «résonance stochastique».

Cette petite impulsion a provoqué un changement qui s’est rapidement propagé dans le GeTe dopé au Mn, comme une onde dans un étang. Cela s’explique par le fait que le matériau se comporte à la fois comme un solide et comme un liquide, essentiellement comme un verre; la modification d’une partie entraîne une réaction en chaîne qui en modifie d’autres.

En termes plus techniques, le commutateur magnétique s’est propagé rapidement à travers le GeTe dopé au Mn grâce à des excitations collectives. Ces dernières sont des mouvements collectifs coordonnés d’un grand nombre de spins électroniques dans le matériau. «C’est possible parce que le système forme un verre de spin corrélé, où les moments magnétiques locaux sont dans un état vitreux, comme les atomes dans une fenêtre ancienne», déclare Hugo Dil. «Si un spin est contraint de changer d’orientation, cette information se propage comme une onde à travers l’échantillon et provoque le changement des autres moments magnétiques.»

Il ajoute: «Pour les applications technologiques, cette augmentation de l’efficacité de la commutation est évidemment très intéressante. À terme, elle peut permettre d’avoir des ordinateurs qui utilisent moins d’un millionième de l’énergie actuellement nécessaire pour commuter un bit. Mais, en tant que physicien, ce qui m’intrigue vraiment, c’est le comportement collectif. Nous prévoyons des expériences résolues dans l’espace et dans le temps afin de suivre la propagation de ces excitations et de déterminer comment nous pouvons les contrôler.»

Références

Juraj Krempaskíoe, Gunther Springholz, Sunil Wilfred D-Souza, Ond?ej Caha, Martin Gmitra, Andreas Ney, C. A. F. Vaz, Cinthia Piamonteze, Mauro Fanciulli, Dominik Kriegner, Jonas A. Krieger, Thomas Prokscha, Zaher Salman, Jan Minár, J. Hugo Dil. Efficient magnetic switching in a correlated spin glass. Nat. Comm. 14, 6127 (2023). DOI: 10.1038/s41467’023 -41718-4