
La croissance est un processus biologique fondamental et une condition préalable à la multiplication et au développement des êtres vivants. La croissance cellulaire, c’est-à-dire la production de nouvelle biomasse, et la division cellulaire doivent pour cela être coordonnées.
Dans les organismes multicellulaires comme l’être humain, la croissance des cellules doit en outre être coordonnée avec leur environnement afin que les cellules soient présentes en nombre et en taille corrects pour former un tissu ou un organe fonctionnel. La croissance cellulaire est donc strictement régulée et n’a lieu que lorsque les bons signaux de croissance sont présents.
Il en va autrement des cellules cancéreuses. Leur croissance est hors de contrôle, elles se divisent sans cesse et ne réagissent pas non plus aux signaux d’arrêt de leur environnement.
L’avantage peut être un inconvénient
Or, plusieurs études parues dans la revue spécialisée "Molecular Cell" montrent que la croissance incontrôlée n’est pas seulement un avantage pour les cellules cancéreuses, mais aussi un point faible.L’une de ces études a été réalisée sous la direction de Gabriel Neurohr de l’Institut de biochimie de l’EPF de Zurich. Depuis quelques années, lui et son groupe étudient comment la croissance cellulaire influence la fonction des cellules. Ils étudient également ce qui se passe lorsque les cellules dépassent leur taille normale et entrent dans un état que les chercheurs appellent sénescence. Dans cet état, les cellules sont surnaturellement grandes et perdent leur capacité à se diviser. Malgré cela, elles sont toujours actives et influencent leur environnement, par exemple en sécrétant des substances messagères.
Les cellules sénescentes sont présentes dans les tissus normaux et jouent un rôle important dans le processus de vieillissement. Mais la sénescence peut également être initiée par des substances chimiques et, parce qu’elle entraîne une perte de capacité partielle, la sénescence est la cible de certaines thérapies anticancéreuses.
La réparation de l’ADN ne fonctionne plus
La collaboratrice de Neurohr, Sandhya Manohar, a maintenant étudié si le dépassement de la taille normale affecte les fonctions cellulaires dans les cellules sénescentes. La chercheuse a donc traité une lignée de cellules non cancéreuses et une lignée de cellules de cancer du sein avec des substances qui inhibent la croissance et la division.Si la chercheuse n’utilisait que des substances supprimant la division dans ses cultures cellulaires, les cellules ne pouvaient effectivement plus se diviser, mais continuaient à croître et entraient en sénescence. Elles ont ainsi perdu durablement leur capacité de division. Cet effet a persisté même après que la chercheuse a cessé d’utiliser les inhibiteurs de division.
Une raison importante de la perte de la capacité de division est que les cellules surdimensionnées ne peuvent plus réparer les dommages causés à leur matériel génétique, comme par exemple la rupture de doubles brins d’ADN. De tels dommages surviennent toujours spontanément lorsqu’une cellule duplique son matériel génétique avant une division cellulaire.
En outre, ces cellules ne peuvent pas activer correctement une voie de signalisation importante (p53-p21), qui serait essentielle pour une réaction coordonnée aux dommages de l’ADN. Il en résulte que les dommages à l’ADN ne sont pas réparés de manière suffisamment efficace. Dans les cellules surdimensionnées, de nombreuses lésions irréparables de l’ADN s’accumulent donc pendant la division - jusqu’à ce que la division ne soit plus possible.
La thérapie combinée est-elle contre-productive ?
Mais si les chercheurs ont traité les cellules simultanément avec des substances inhibant la division et la croissance, les cellules ont pu se diviser et se multiplier à nouveau normalement après l’arrêt des deux substances. "C’est exactement ce qui s’est passé, ce qui n’est pas souhaitable dans le cadre d’un traitement contre le cancer", explique Neurohr.Les agents inhibiteurs de croissance et de division sont déjà utilisés aujourd’hui dans le traitement du cancer. "Sur la base de nos observations en culture cellulaire, nous nous attendrions à un taux de rechute plus élevé si une tumeur était traitée simultanément avec des inhibiteurs de division et des inhibiteurs de croissance. Il serait plus judicieux d’utiliser d’abord un inhibiteur de division, puis un médicament qui endommage davantage l’ADN des cellules et rend la division totalement impossible", explique Neurohr.
Des tests cliniques doivent confirmer les résultats
Les chercheurs ont toutefois d’abord testé leurs nouvelles connaissances sur des cultures cellulaires. Comme la croissance et la division dépendent fortement de l’environnement cellulaire, ils ne peuvent pas transposer directement ces résultats en clinique. Il faut donc d’abord faire des essais avec des organoïdes ou sur des échantillons de tissus pour mieux tester les possibilités de traitement. Des études cliniques examinant différentes combinaisons d’inhibiteurs de division et d’autres médicaments sont en outre en cours.L’idée des chercheurs de Neurohr est étayée par des études de trois autres équipes internationales de chercheurs, publiées dans le même numéro de "Molecular Cell".
Ces études démontrent que les cellules cancéreuses à croissance hyperactive sont sensibles au traitement par des inhibiteurs de la division. Comme ces substances sont déjà utilisées aujourd’hui, entre autres pour certains cancers du sein, ces nouvelles découvertes pourraient avoir un impact à long terme sur le traitement du cancer.
Cette recherche a été financée par un SNSF externe page Eccellenza call_made Professorial Fellowship pour Gabriel Neurohr.