Un tweet ou un post sur Instagram peuvent-ils nous renseigner sur notre santé mentale ? Quelle est la signification de la relation entre le bien-être et l’utilisation de ces plateformes ? Pour répondre à ces questions, Marta Fadda, chercheuse en bioéthique à l’Università della Svizzera italiana, Oliver Grübner, géographe de la santé, et Marcus Wolf, psychologue, de l’Université de Zurich ont mené une série d’études visant à démontrer l’utilité des plateformes sociales pour la recherche en santé mentale. L’équipe de trois chercheurs a remporté le premier UZH Postdoc Team Award. Cette recherche interdisciplinaire étudie les liens entre les messages des médias sociaux et la santé mentale de la population. Le Dr Marta Fadda nous en parle.
En quoi consiste la recherche ? Quels outils utilise-t-elle ?
La recherche analyse de nombreux tweets pour lesquels la localisation géographique de l’utilisateur était disponible lors du partage, en utilisant des outils innovants de reconnaissance des émotions. Comme vous pouvez l’imaginer, l’extraction, le stockage, l’analyse et le partage des données et des résultats des différentes études que nous avons menées ont d’importantes implications éthiques et juridiques. Par exemple, les utilisateurs ne donnent pas leur consentement éclairé pour l’analyse de leurs tweets à des fins de recherche spécifiques, comme c’est généralement le cas dans d’autres études, et la conservation de ces tweets pourrait exposer les utilisateurs à des risques concernant leur vie privée. J’étais chargé d’analyser les questions éthiques et juridiques liées aux différentes études que nous avons menées et de coordonner l’équipe pour identifier et mettre en ½uvre des solutions justifiables sur le plan éthique et juridique. En un mot, je me suis demandé s’il était éthique et légal de mettre en ½uvre les technologies disponibles pour répondre à nos questions de recherche avec le type de données collectées.
Comment déterminer la santé mentale d’une personne à partir de ce qu’elle écrit sur les médias sociaux?
Nos émotions sont des indicateurs de notre état de santé mentale. L’analyse que nous avons utilisée consiste en un logiciel EMOTIVE qui détecte et mesure les émotions dans les posts sur les plateformes sociales. Ce logiciel extrait huit émotions : la colère, le dégoût, la peur, le bonheur, la tristesse, la surprise, la honte et la confusion. L’étude de la distribution de ces émotions dans le temps et l’espace fournit des informations précieuses sur la façon dont des groupes de personnes réagissent à certains événements.
Quelles sont les implications pratiques de cette recherche sur le terrain ?
Par exemple, le Dr Grübner a constaté que les réactions émotionnelles négatives identifiées dans les tweets des habitants de la ville de New York pendant et après l’ouragan Sandy étaient concentrées dans des quartiers spécifiques de la ville, notamment à Staten Island. Ces informations permettent de planifier et de mettre en ½uvre des interventions ciblées pour faire face aux urgences là où elles frappent le plus fort.
Le fait que nous disposions aujourd’hui de technologies de pointe ne signifie pas nécessairement que leur utilisation est éthique ou légale. Quelles sont donc les implications éthiques et légales de ces études ?
Le fait que les gens partagent librement leurs opinions, leurs expériences et leurs émotions sur les plateformes sociales ne signifie pas que les chercheurs (ou d’autres personnes) peuvent s’emparer de ces informations et les utiliser comme bon leur semble. Les utilisateurs qui génèrent du contenu en ligne, même sur des plateformes entièrement ouvertes auxquelles tout le monde peut accéder, ont des droits en ce qui concerne leur vie privée. Imaginez que vous vous promenez dans l’allée d’un supermarché avec votre chariot. Vous vous attendez à rencontrer des gens et à ce qu’ils jettent un coup d’½il à vos courses, mais vous seriez probablement contrarié de découvrir que quelqu’un vous a suivi depuis votre entrée jusqu’à votre sortie du magasin et a enregistré tous vos mouvements, vos achats et vos échanges avec le personnel de vente. En outre, l’analyse d’un grand nombre de messages, si elle n’est pas menée de manière scientifiquement robuste, peut générer des conclusions erronées qui peuvent conduire à la diffusion de stéréotypes et de jugements négatifs au sein de la population.
Comment avez-vous abordé ces questions ?
L’éthique et la légalité de nos études ont toujours été au premier plan. En plus de nous engager au sein de l’équipe, nous nous sommes confrontés à la littérature scientifique qui traitait des défis éthiques et juridiques d’études similaires. Nous nous sommes mis en relation avec diverses institutions, y compris les autorités de protection des données au niveau cantonal. Cependant, nous avons réalisé que les directives disponibles ne tenaient pas compte d’un aspect unique de nos données : l’emplacement géographique des postes collectés. Nous avons donc élaboré de nouvelles lignes directrices qui tiendraient compte de cet aspect supplémentaire. Par exemple, le fait que le tweet que nous analysons contienne l’emplacement exact de la personne au moment où le tweet a été partagé pose des problèmes de confidentialité critiques. L’une de nos recommandations était de modifier les données de localisation géographique et de les étendre à une zone plus vaste, de sorte que la possibilité de localiser précisément la personne soit plus limitée.
Source :
Fadda M, Sykora M, Elayan S, Puhan MA, Naslund JA, Mooney SJ, Albanese E, Morese R, Gruebner O. Ethical issues of collecting, storing, and analyzing geo-referenced tweets for mental health research. Digit Health. 2022 Apr 12;8:20552076221092539. doi : 10.1177/20552076221092539. PMID : 35433020 ; PMCID : PMC9008807. ( https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35433020/ )
Quand la santé mentale passe par les médias sociaux
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