
La course au développement d’un ordinateur quantique utilisable dans la pratique bat son plein. Les chercheurs du monde entier travaillent sur de nombreuses technologies de qubits différentes, et on ne sait pas encore quel type de qubit est le plus approprié pour exploiter pleinement le potentiel de l’informatique quantique.
Les qubits constituent la base d’un ordinateur quantique : ils servent au traitement, à la transmission et au stockage des données. Pour qu’ils fonctionnent correctement, ils doivent à la fois stocker les informations de manière fiable et les traiter à grande vitesse. Pour cela, il faut des interactions stables et rapides entre un grand nombre de qubits, dont l’état peut être contrôlé de manière fiable de l’extérieur.
Pour qu’un ordinateur quantique soit utilisable dans la pratique, des millions de qubits doivent être placés sur une seule puce. Or, les ordinateurs quantiques les plus avancés à l’heure actuelle ne disposent que de quelques centaines de qubits et ne peuvent donc effectuer que des calculs qui sont également - et souvent plus efficacement - possibles sur des ordinateurs traditionnels.
Électrons et trous
Pour résoudre le problème de l’agencement et de la connexion de milliers et de milliers de qubits, les chercheurs de l’université de Bâle et du NCCR SPIN misent sur un type de qubit qui utilise le spin (c’est-à-dire le moment cinétique propre) d’un électron ou celui d’un trou. Un trou est pour ainsi dire un électron manquant dans un corps solide. Tous deux possèdent un spin qui peut prendre deux états : vers le haut et vers le bas, par analogie avec les valeurs 0 et 1 des bits classiques. Par rapport aux spins des électrons, les spins des trous ont l’avantage de pouvoir être entièrement contrôlés électriquement, sans nécessiter de composants supplémentaires sur la puce, comme des micro-aimants par exemple.Dès 2022, les physiciens bâlois ont pu montrer qu’il était possible de capturer les spins de trous dans un composant électronique courant et de les utiliser comme qubits. Ces transistors appelés FinFET (Fin Field-Effect Transistors) sont par exemple intégrés dans les smartphones modernes et sont fabriqués à l’aide de procédés industriels largement répandus. L’équipe dirigée par Andreas Kuhlmann a maintenant réussi pour la première fois à créer une interaction contrôlable entre deux qubits dans cette configuration.
Contrôle rapide et précis du spin flip
Pour qu’un ordinateur quantique puisse effectuer des calculs, il a besoin de ce que l’on appelle des portes quantiques. Celles-ci représentent des opérations qui manipulent les qubits et les couplent entre eux. Comme le rapportent les chercheurs dans la revue spécialisée ’Nature Physics’, ils ont pu entrelacer deux qubits dans une porte et provoquer un basculement contrôlé d’un spin, en fonction de l’état du deuxième spin - ce que l’on appelle un Controlled Spin-Flip. Avec les spins perforés, nous pouvons créer des portes à deux qubits qui sont à la fois rapides et très fiables. Selon ce principe, il est désormais possible de coupler un plus grand nombre de qubits par paires’, explique Kuhlmann.L’intrication de deux qubits de spin repose sur leur interaction d’échange, qui se produit pour deux particules indiscernables qui interagissent électrostatiquement entre elles. De manière surprenante, l’énergie d’échange pour les trous n’est pas seulement contrôlable électriquement, mais aussi fortement anisotrope. C’est une conséquence du couplage spin-trajectoire, qui fait que l’état de spin d’un trou est influencé par son mouvement spatial.
Pour décrire cette observation dans un modèle, des physiciens expérimentaux et des théoriciens de l’Université de Bâle et du NCCR SPIN ont uni leurs efforts. ’L’anisotropie permet de réaliser des portes à deux qubits sans le compromis typique entre vitesse et fiabilité’, résume le Dr Andreas Kuhlmann.
Ce travail souligne donc que cette approche a de bonnes chances d’être retenue dans la course au développement d’un ordinateur quantique à grande échelle.
Publication originale
Simon Geyer, Bence Hetényi, Stefano Bosco, Leon C. Camenzind, Rafael S. Eggli, Andreas Fuhrer, Daniel Loss, Richard J. Warburton, Dominik M. Zumbühl & Andreas V. Kuhlmann
Interaction d’échange anisotrope de qubits de spin à deux trous
Nature Physics (2024), doi : 10.1038/s41567’024 -02481-5