Faciliter les projets de renaturation des deltas lacustres

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Les scientifiques Alexandre Fourrier et Giovanni De Cesare font des mesures dans
Les scientifiques Alexandre Fourrier et Giovanni De Cesare font des mesures dans le delta de la Chamberonne au bord du Léman © 2024 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Des scientifiques de l’EPFL ont répertorié, avec des partenaires externes, les principales familles morphologiques des deltas lacustres. Le but est d’évaluer plus facilement quels sites fortement modifiés par l’homme au fil des années seraient susceptibles d’être ramenés au plus près de leur état naturel.

Au bord du lac des Quatre Cantons, le delta de la Reuss est redevenu un petit paradis avec ses îlots de graviers, ses espaces d’eaux peu profondes où la faune, la flore, les baigneurs et baigneuses se côtoient en harmonie. Les projets successifs de renaturation ont permis à ce lieu de recréer un écosystème dynamique propice à la biodiversité et à la protection de ses rives. Rien à voir avec son apparence passée de simple digue. Cet exemple est l’un des cas pratiques de renaturation de deltas lacustres étudiés par Alexandre Fourrier, diplômé en sciences et ingénierie de l’environnement de l’EPFL. A la fin de ses études, dans le cadre d’un travail de master en entreprise, il a travaillé sur les processus morphologiques des deltas lacustres. Ses recherches ont été menées sous la supervision du directeur opérationnel de la Plateforme de constructions hydrauliques de l’EPFL, Giovanni De Cesare, de Marina Launay, du bureau d’ingénierie Gruner et de Stéphanie André, de la Direction générale de l’environnement de l’Etat de Vaud. En résulte une nouvelle approche scientifique destinée aux ingénieures et ingénieurs qui facilite grandement leur travail dans la phase de préétude d’un projet de renaturation. La recherche du diplômé de la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC) et de ses collègues vient d’être publiée dans la revue scientifique Ecological Engineering .

La renaturation des cours d’eau est devenue une obligation légale depuis 2011 avec la révision de la loi sur la protection des eaux. Elle a été appliquée dans le cadre de diverses planifications stratégiques pour les grandes rivières telles que le Rhône, la Reuss ou l’Aar. Et elle est menée activement par l’Etat de Vaud avec plus de 40 km de cours d’eau renaturés depuis 2014. Les rives des lacs et les deltas lacustres sont également concernés. L’enjeu est de taille pour le Léman, par exemple, puisque seuls 3 % de ses bords sont encore à l’état naturel.

Reconnecter rivière et lac

Depuis la fin du 19e siècle, l’anthropisation, soit l’intervention humaine dans l’environnement, a gagné toujours plus de terrain. Elle a pris, entre autres, la forme de création de digues afin de lutter contre les inondations. Les deltas ont progressivement perdu des terres au profit de nouvelles zones destinées à l’agriculture, à l’industrie, ou encore à l’installation d’infrastructures. «Renaturer les deltas aujourd’hui, c’est ouvrir les digues, redonner de l’espace pour offrir une diversification d’habitats favorables à la biodiversité. C’est aussi reconnecter les cours d’eau aux domaines lacustres, qui ont chacun leur propre dynamique. Les rivières charrient des sédiments qui pourront se déposer à nouveau à l’embouchure et jouer leur rôle de préservation face à l’érosion provoquée par les vagues et courants lacustres», détaille Alexandre Fourrier. Et de citer un exemple éloquent: «Dans le delta de la Reuss, l’anthropisation a eu pour conséquence le recul des rives de plus de 100 mètres.»

L’approche scientifique développée par Alexandre Fourrier et ses collègues a la particularité d’être simple d’utilisation puisqu’elle n’utilise que deux paramètres. «Elle permet de définir le potentiel de récupération d’un état quasi naturel en utilisant uniquement la pente du cours d’eau en amont et l’angle d’ouverture du delta.» Mais aussi de déterminer l’espace nécessaire au cours d’eau pour remplir ses fonctions naturelles. Elle prend la forme d’un diagramme, sur le même principe de ce qui existe déjà pour classer les rivières selon leur morphologie. «C’est une vraie innovation, car ce travail de classification n’avait encore jamais été réalisé pour les deltas», ajoute Giovanni De Cesare. Le bureau Gruner avait identifié ce besoin suite à divers projets de renaturation menés avec l’Etat de Vaud.

Voyage dans le temps

Les scientifiques ont défini quatre types morphologiques différents. Ils les ont obtenus en répertoriant ceux qui avaient été recensés dans la littérature spécialisée. Mais aussi en mesurant eux-mêmes quelque 200 deltas lacustres dans le monde auxquels ils ont appliqué leur jeu de paramètres. Pour cela, ils ont utilisé les images disponibles sur Google Earth ou encore les cartes topographiques de l’administration publique.

Ces cartes et prises de vue de paysages depuis les années 1920 permettent également de voyager dans le temps et d’observer l’évolution de la forme du delta au gré des projets de planification stratégique. En 1850, par exemple, le delta de la Reuss avait une ouverture naturelle de 85 degrés. La création de digues et l’anthropisation ont progressivement transformé la rivière en un simple canal rectiligne. Le premier projet de renaturation des années 1990 lui a redonné beaucoup d’espace avec aujourd’hui un delta ouvert à 60 degrés. «Cette évolution historique informe les spécialistes sur la manière de se rapprocher au plus près de l’état initial du delta en prenant en compte les différentes contraintes actuelles liées aussi bien à la population, à l’urbanisation, ou encore à l’agriculture autour de l’embouchure», conclut Giovanni De Cesare.

Références

Alexandre Fourrier, Marina Launay, Stéphanie André, Giovanni De Cesare,"Morphological processes and potential for lacustrine delta restoration", Ecological Engineering, Février 2024