La Suisse compte près de 1,8 million de bâtiments résidentiels et un autre million de bâtiments non résidentiels. Ce parc immobilier représente environ 40 % des besoins énergétiques finaux du pays. Les bâtiments offrent un levier important sur la voie d’une Suisse climatiquement neutre : nettement plus de la moitié de tous les bâtiments sont encore chauffés avec des sources d’énergie fossiles comme le pétrole ou le gaz. Et la majorité des bâtiments date d’une époque où il n’existait pas de normes d’efficacité efficaces. Beaucoup d’entre eux ont besoin d’une rénovation énergétique urgente.
Le cycle de vie des bâtiments en ligne de mire
Les rénovations de bâtiments sont généralement axées sur la consommation d’énergie et comprennent deux mesures principales : L’isolation de l’enveloppe du bâtiment permet de réduire la consommation d’énergie et le remplacement des chauffages fossiles favorise l’utilisation des énergies renouvelables. Dans le contexte du changement climatique, la question se pose de plus en plus de savoir comment les rénovations doivent être conçues pour qu’un bâtiment émette le moins possible de gaz à effet de serre tout au long de son cycle de vie.Cette question fait l’objet de recherches depuis des années au département de construction, d’environnement et de géomatique de l’EPF de Zurich. Une étude récente de Guillaume Habert, professeur de construction durable, et de Bruno Sudret, professeur de risque, de sécurité et de quantification des incertitudes, apporte de nouvelles réponses à ce sujet. L’étude a été réalisée en collaboration avec la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (Yverdon) et l’École polytechnique de Chalmers (Göteborg). Elle a été publiée le 13 mars 2024 dans la revue scientifique Nature Communications.
Remplacement du chauffage et isolation thermique
L’étude s’est concentrée sur six bâtiments construits entre 1911 et 1988 et qui n’ont pas encore été rénovés en grande partie. Les bâtiments ont été choisis de manière à représenter l’ensemble du parc immobilier suisse. Pour ces immeubles, les chercheurs ont calculé combien d’émissions de gaz à effet de serre sont générées par différentes mesures de rénovation, et ce par rapport à un cycle de vie du bâtiment de 60 ans (à partir de la date de rénovation). L’étude a porté d’une part sur le remplacement du chauffage actuel par un chauffage au gaz, un chauffage aux pellets de bois ou une pompe à chaleur, et d’autre part sur la mise en place d’une isolation thermique avec des couches d’épaisseur variable de matériaux isolants conventionnels (comme le PSE, la laine de verre, la laine de roche, les fibres de cellulose) ou de matériaux isolants issus de plantes à croissance rapide (comme la paille et le chanvre).La prise en compte des matériaux de construction est importante, car ceux-ci nécessitent une quantité d’énergie très variable lors du processus de fabrication et présentent donc une charge plus ou moins élevée en gaz à effet de serre. "Les émissions de CO2 lors de la fabrication des matériaux isolants traditionnels sont parfois très élevées et leur utilisation lors de la rénovation des bâtiments annule en partie l’effet positif obtenu par la réduction de la consommation d’énergie", explique Guillaume Habert. Les matériaux de construction issus de matières premières renouvelables émettent nettement moins de gaz à effet de serre. Ils ont en outre l’avantage d’absorber le CO2 de l’atmosphère pendant leur croissance et de le stocker à long terme dans le bâtiment.
87 % de gaz à effet de serre en moins
Les calculs des émissions de gaz à effet de serre pendant le cycle de vie de 60 ans d’un bâtiment le montrent : Pour réduire efficacement et à moindre coût les émissions de gaz à effet de serre, le remplacement des chauffages au fioul et au gaz est une priorité. L’utilisation de matériaux de construction biosourcés pour l’isolation thermique est également très importante. "Nos résultats montrent que nous pourrions économiser jusqu’à 87 % des émissions de gaz à effet de serre dans le parc immobilier suisse, principalement en passant aux pompes à chaleur ou aux pellets de bois, mais aussi en utilisant des matériaux de construction biosourcés, par exemple sous forme de bottes de paille, de nattes de chanvre et de béton de chanvre, dans les hypothèses que nous avons retenues", résume Alina Galimshina, l’une des principales conclusions de l’étude. Celle-ci repose en grande partie sur la thèse de doctorat qu’elle a rédigée à l’EPF de Zurich.Pour calculer les émissions de gaz à effet de serre et les coûts (d’investissement, d’exploitation et d’entretien) sur l’ensemble du cycle de vie, la chercheuse a utilisé une méthode innovante. Le choix de la bonne stratégie de rénovation dépend en effet dans une large mesure des évolutions futures, comme l’augmentation des températures ambiantes liée au climat, mais aussi des prix de l’énergie, de la "teneur en CO#x#x#2" du courant de réseau, du comportement des utilisateurs et d’autres facteurs. L’étude a tenu compte de ces incertitudes en intégrant des outils mathématiques appropriés (simulation Monte Carlo, voir à ce sujet les Nouvelles de l’EPF du 02.06.2023). Les modèles de calcul pour l’évaluation des critères du cycle de vie nécessitent un temps d’ordinateur important. Afin de réduire le temps de calcul, un modèle de remplacement a été développé à l’aide de techniques d’apprentissage automatique. "Grâce à ce modèle de remplacement, nous avons pu réaliser une optimisation complète des différents paramètres des options de rénovation possibles - en tenant compte des incertitudes liées aux prix de l’énergie, à la teneur en CO2 du courant de réseau et aux températures ambiantes", explique Bruno Sudret. Cette optimisation a été rendue possible grâce à l’outil logiciel UQLab ( site externe www.uqlab.com call_made ), que son groupe a développé et utilisé depuis 2015 pour quantifier les incertitudes dans les modèles prédictifs de différentes disciplines, et qui a été encore amélioré pour ce projet.
Mettre les résultats en pratique
Si l’exigence de remplacer les chauffages fossiles est aujourd’hui sur toutes les lèvres, l’utilisation de matériaux de construction végétaux comme la paille et le chanvre n’en est qu’à ses débuts. Le secteur de la construction accueille encore ces matériaux avec scepticisme, car ils nécessitent parfois des épaisseurs d’isolation nettement plus importantes et soulèvent des questions en matière d’humidité et de protection contre l’incendie. Les coûts élevés des rénovations avec des matériaux isolants biosourcés font également l’objet de discussions, les critiques occultant parfois les économies réalisées sur les coûts d’exploitation.Dans ce contexte, l’équipe de recherche s’est fixé pour objectif de faire connaître les résultats de ses travaux aux planificateurs, architectes et autres spécialistes de la construction. Cela se fait dans le cadre d’un projet en cours, financé par le programme Agora du Fonds national suisse. Il s’agit notamment de discussions et d’une enquête auprès d’experts du secteur de la construction. Parallèlement, un site web est en train d’être créé, qui met à disposition un outil logiciel permettant de comparer les stratégies de rénovation en termes de respect du climat.