Éléments indispensables de la cellule, les protéines subissent diverses modifications après leur synthèse. Ces «modifications post-traductionnelles» (PTM) peuvent profondément perturber le fonctionnement d’une protéine dans la cellule, d’où leur importance dans de nombreux processus biologiques.
Les PTM servent également de biomarqueurs pour plusieurs maladies. Autrement dit, il est crucial de les détecter et de les analyser avec précision afin d’éviter les erreurs de diagnostic. Mais les méthodes traditionnelles sont limitées en termes de sensibilité et de spécificité, notamment en cas de faibles concentrations de protéines et de schémas PTM complexes.
Des scientifiques de l’EPFL ont récemment mis au point une nouvelle méthode qui combine la sensibilité des nanopores biologiques et la précision de l’apprentissage profond. Cette approche innovante peut transformer notre façon de détecter et d’analyser les PTM.
Publiée dans la revue ACS Nano, l’étude a été menée par les équipes de bio-ingénierie de Matteo Dal Peraro, de Chan Cao et de Hilal Lashuel de la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL.
La nouvelle méthode repose sur l’utilisation d’un nanopore biologique, plus particulièrement la toxine aérosolysine formant des pores, pour détecter et distinguer les peptides - les éléments constitutifs des protéines - avec différentes PTM. L’équipe de Matteo Dal Peraro a déjà travaillé avec des nanopores d’aérolysine pour créer des capteurs à haute résolution de molécules complexes et même lire des données codées dans des macromolécules synthétiques. Cette technologie des nanopores est suffisamment sensible pour détecter ces peptides à des concentrations picomolaires, et représente une amélioration significative par rapport aux techniques actuelles.
Mais comment la méthode fonctionne-t-elle? Lorsque les peptides traversent le nanopore, ils provoquent des changements caractéristiques dans le flux d’ions à travers le nanopore que l’on appelle «courant ionique». Chaque type de PTM modifie la structure du peptide d’une manière unique, d’où des signatures de courant distinctes. En enregistrant ces changements de courant, la méthode permet d’identifier et de différencier les différentes PTM sur les peptides.
Cette approche est d’autant plus remarquable qu’elle utilise des algorithmes d’apprentissage profond pour analyser les données complexes et classer précisément les peptides selon leurs schémas PTM. Le modèle peut identifier avec fiabilité les signatures de courant caractéristiques des peptides et de leurs variantes PTM, ce qui permet de les classer de manière rapide, automatique et très précise.
Pour tester cette approche, les chercheuses et chercheurs ont fait appel à l’expertise de Hilal Lashuel, dont le laboratoire a été le premier à développer des approches de biologie synthétique et chimique pour étudier le rôle des PTM dans les maladies neurodégénératives. «Nous avons démontré que nous pouvions exploiter le pouvoir de détection de notre nanopore pour détecter et distinguer différentes formes PTM de l’alpha-synucléine. Celle-ci fait partie des biomarqueurs et cibles les plus recherchés pour le développement de thérapies destinées à traiter la maladie de Parkinson», déclare Chan Cao, principale autrice de l’étude.
Les scientifiques sont parvenus à démontrer que la méthode des nanopores pouvait détecter et différencier les protéines alpha-synucléines avec une ou plusieurs PTM, comme la phosphorylation, la nitration et l’oxydation. «Cette capacité à identifier simultanément de multiples modifications est révolutionnaire», affirme Hilal Lashuel. «En permettant une cartographie plus précise du code PTM des protéines au niveau d’une seule molécule, elle pourrait aider à mieux comprendre l’interaction et la dynamique complexes des PTM dans les processus pathologiques et leur potentiel en tant que biomarqueurs de la maladie.»
La détection par nanopore associée à l’analyse avancée des données ouvre de nouvelles perspectives pour comprendre les modifications des protéines à un niveau de détail jusqu’alors inaccessible. La technologie des nanopores peut être utilisée non seulement pour la détection des PTM, mais aussi pour la découverte de biomarqueurs et le diagnostic.
«Nous avons donné une première preuve de principe que cette approche peut servir à détecter ces biomarqueurs dans un échantillon clinique, ce qui ouvre la voie au développement d’outils de diagnostic à molécule unique pour la maladie de Parkinson», indique Matteo Dal Peraro. L’équipe envisage de développer cette méthode pour en faire un dispositif de diagnostic portable à la fois rapide, rentable et très sensible, à usage médical et commercial.