Quantifier les aérosols en fonction de l’état de la mer

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C’est à bord de ce brise-glace que le dispsositif du Laboratoire de recher
C’est à bord de ce brise-glace que le dispsositif du Laboratoire de recherche sur les environnements extrêmes a donné ses premiers résultats © EERL
Un laboratoire de l’EPFL met au point un système qui permet de mieux comprendre la relation entre les aérosols marins, l’état de la mer et l’atmosphère. Embarqué sur un brise-glace, le dispositif a permis de recueillir et d’analyser des données en Arctique.

Les aérosols, ces minuscules particules en suspension dans l’air, jouent un rôle essentiel dans les prévisions météorologiques et climatiques en influençant la formation des nuages et les précipitations ainsi qu’en réfléchissant une partie des rayons du soleil. Selon leur composition, leur taille et leur altitude, ils interviennent de manière complexe dans le bilan énergétique de la planète, en ayant tour à tour un effet de refroidissement ou de réchauffement.

Couvrant plus de 70 % de la surface terrestre, les océans pourraient constituer la source naturelle d’aérosols ayant la plus grande influence sur le bilan radiatif de la Terre, soit l’équilibre entre l’énergie solaire reçue et l’énergie infrarouge renvoyée vers l’espace, déterminant ainsi sa température globale. « La quantité d’aérosols produite est cependant encore mal connue, ce qui génère une grande source d’incertitude dans les modèles climatiques et météorologiques », explique Julia Schmale, professeure au Laboratoire de recherche sur les environnements extrêmes (EERL) - Chaire Ingvar Kamprad. Avec des collègues d’autres institutions [1] , elle a conçu un système innovant à base d’appareils du commerce permettant de mettre en relation les aérosols et l’état de l’océan. Prévu pour être utilisé à bord d’un bateau, le dispositif enregistre simultanément les concentrations d’aérosols environnantes, les conditions atmosphériques ainsi que la morphologie des vagues. C’est en Arctique que les scientifiques ont collecté leurs premières données qui font l’objet d’une publication dans la revue scientifique Atmospheric Environment.

Un dispositif à bas coût qui pourra être embarqué sur d’autres bateaux

Si l’équipe scientifique, soutenue par une bourse de recherche du Centre d’imagerie de l’EPFL, a choisi d’embarquer à bord d’un brise-glace dans les conditions inhospitalières des mers de Barents et de Kara, aux confins du pôle Nord, ce n’est évidemment pas par hasard. « En Arctique, les émissions d’aérosols sont très variables. Il y a notamment de moins en moins de mer gelée, d’avantage de plaques de glace qui flottent à la dérive et d’océan ouvert. Nous nous attendons donc à des changements très importants dans les années à venir », explique Julia Schmale.

Des données concernant les aérosols marins sont acquises actuellement par des satellites ou des observatoires sur les côtes, mais l’analyse de ces données ne permet qu’une approximation. Le système proposé dans cette étude permet d’acquérir les données concernant l’état de la mer grâce à deux caméras du commerce placées sur le pont du bateau. Les images combinées permettent d’avoir une vision stéréoscopique, qui permet de reconstituer, malgré le tangage, la surface en 3D. Des algorithmes évaluent la morphologie des vagues (hauteur, profondeur, manière de se briser, etc.) et les mettent en relation avec les mesures sur les aérosols et des données sur la couche basse de l’atmosphère (température, précipitation, vent, etc.). « Ce procédé nous a permis d’avoir une résolution temporelle excellente, de l’ordre de la seconde pour les mesures atmosphériques et celles de l’océan ».

Avant de pouvoir intégrer ces données dans des modèles climatiques, nous avons besoin de nombreuses études comme celle-ci à travers les océans, car les conditions sont très différentes selon la saison, la météo et l’endroit

Julia Schmale, professeure au Laboratoire de recherche sur les environnements extrêmes

Estimer la quantité d’aérosols grâce aux données de l’océan et de l’atmosphère

L’analyse des résultats permet d’avoir un premier aperçu des variables physiques (état de la mer, vent et stabilité atmosphérique) qui influencent la production d’aérosols dans cette région nordique en période estivale. « Pour valider le nouveau dispositif, la première étape a été de confirmer que, comme la logique le laisse supposer, les émissions d’aérosols sont fortement corrélées avec les conditions de glace : lorsque la proportion d’eau est plus importante et celle de glace est moindre, nous aurons davantage d’émissions d’aérosols. Et lorsque la glace est compacte, il y a beaucoup moins d’émission directe en été. Mais nous prévoyons d’en savoir bien plus », note la professeure.

L’analyse des résultats a également permis de démontrer que la concentration d’aérosols est fortement modulée par la stabilité de la couche la plus basse de l’atmosphère. Cette dernière est soumise à des courants d’air turbulents, en particulier près de la surface de l’eau lorsque des vagues se forment. En combinant les données concernant les vagues avec celles de l’atmosphère, les scientifiques ont trouvé une formule qui leur permet de prédire la quantité d’aérosols. Un premier pas vers une quantification mieux maitrisée de ces perturbateurs des modèles climatiques ? « Oui, mais avant de pouvoir intégrer ces données, nous avons besoin de nombreuses études comme celle-ci à travers les océans, car les conditions sont très différentes selon la saison, la météo et l’endroit ». Même le pôle Sud n’est pas comparable avec son cousin du Nord en raison de vents beaucoup plus violents. Le système de mesure à faible coût élaboré pour cette étude pourrait cependant être facilement installé sur de nombreux navires afin d’acquérir en permanence des données autour du globe.

Références

Alireza Moallemi, Alberto Alberello, Iris Thurnherr, Guangyu Li,  Zamin A. Kanji, Filippo Bergamasco, Roman Pohorsky, Filippo Nelli, Alessandro Toffoli,J ulia Schmale: Links between atmospheric aerosols and sea state in the Arctic Ocean. Atmospheric Environment. DOI: https://doi.org/10.1016/j.­atmosenv.2­024.120844

[1] School of Mathematics, University of East Anglia, Norwich, United Kingdom, Institute for Atmospheric and Climate Science, Department of Environmental Systems Science, ETH, Zurich, Switzerland, Department of Environmental Sciences, Informatics and Statistics, Ca’ Foscari University of Venice, Venice, Italy, Department of Infrastructure Engineering, The University of Melbourne, Parkville, Australia