Rythme veille-sommeil : les poissons modifient notre compréhension de la façon dont le sommeil est régulé

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Une magnifique loche franche. (Photo : The Reptilarium | CC BY-SA 2.0)
Une magnifique loche franche. (Photo : The Reptilarium | CC BY-SA 2.0)
Contrairement à ce que l’on pensait, tous les vertébrés ne régulent pas leur rythme veille-sommeil de la même manière. Comme l’ont découvert des chercheurs de l’Université de Bâle, certains poissons n’ont pas besoin de ce que l’on appelle l’orexine pour rester éveillés. Ce neurotransmetteur était jusqu’à présent considéré comme indispensable à la régulation du sommeil. Sans lui, les mammifères comme l’homme souffrent de narcolepsie, également appelée dépendance au sommeil.

Jusqu’à présent, on partait du principe que le comportement de sommeil était contrôlé de manière similaire chez tous les vertébrés. C’est pourquoi, depuis une vingtaine d’années, les chercheurs ont également recours aux poissons comme organisme modèle pour étudier plus précisément le sommeil et la manière dont il est régulé.

Le groupe de recherche d’Alex Schier au Biocentre de l’Université de Bâle a fait une découverte surprenante chez une espèce de poisson d’Asie du Sud : les bigorneaux, que l’on trouve également dans les zoos et les aquariums, présentent certes un comportement de sommeil normal, mais chez eux, le sommeil est régulé de manière complètement différente. Ces poissons sont dépourvus de la voie de signalisation de l’orexine (ou hypocrétine), que l’on pensait indispensable au sommeil et au réveil chez tous les vertébrés. Les résultats de l’étude ont été publiés dans ’Current Biology’.

Nous avons été surpris de constater que les bigorneaux ont un comportement de sommeil normal et qu’il est surtout facile de les réveiller, bien que le système de l’orexine ne fonctionne pas chez eux", explique le Dr Vassilis Bitsikas, premier auteur. Cette espèce de carpes ne tombe donc pas dans un état d’évanouissement, comme c’est souvent le cas dans la narcolepsie, et n’a pas besoin d’orexine pour réguler le rythme veille-sommeil.

L’idée initiale était d’étudier plus en détail la voie de signalisation de l’orexine chez les bigorneaux. Comme ces poissons arrêtent simplement de nager et se couchent sur le côté lorsqu’ils dorment, il est facile de les observer pendant leur sommeil. Ils semblaient être l’organisme modèle idéal pour notre étude sur le sommeil. Cependant, des recherches supplémentaires ont révélé que les bigorneaux ne disposent pas d’une voie de signalisation de l’orexine fonctionnelle’, rapporte Vassilis Bitsikas.

La narcolepsie chez les mammifères

Chez les humains, une voie de signalisation de l’orexine intacte est essentielle pour un rythme veille-sommeil sain. Si cette voie est défectueuse, ils souffrent de narcolepsie : les personnes concernées sont excessivement somnolentes pendant la journée, leurs muscles se relâchent soudainement (cataplexie) et elles tombent de manière incontrôlée dans un sommeil profond, duquel elles ne peuvent guère être réveillées.

Cette maladie neurologique est causée par la perte de cellules nerveuses dans le cerveau qui produisent normalement de l’orexine, un neurotransmetteur qui nous maintient éveillés. Jusqu’à présent, on supposait qu’en cas de manque d’orexine, le comportement normal de veille-sommeil était perturbé chez tous les vertébrés. Cette hypothèse est fausse, comme il s’avère maintenant’, explique Alex Schier.

Les poissons gèrent leur sommeil différemment

Les chercheurs ont en outre découvert que les bigorneaux ne sont pas les seuls à pouvoir gérer leur rythme veille-sommeil sans orexine, mais que les poissons zèbres le font également. Malgré une voie de signalisation de l’orexine défectueuse, ils conservent leur rythme veille-sommeil normal. Ils n’ont donc pas besoin d’orexine pour rester éveillés’, explique Vassilis Bitsikas. Il se pourrait donc qu’un autre mécanisme de régulation du rythme de sommeil se soit développé séparément chez cette espèce de poisson. Il serait intéressant de découvrir quand et pourquoi des systèmes de contrôle différents se sont développés chez les vertébrés", conclut Schier.

Les poissons ont souvent été utilisés comme organismes modèles pour découvrir comment le sommeil est apparu au cours de l’évolution. Les nouvelles découvertes ont changé notre compréhension de la régulation du sommeil et de l’éveil. Les poissons recèlent peut-être encore quelques secrets qui pourraient nous aider à comprendre pourquoi certains animaux sont plus sujets à la narcolepsie que d’autres’, souligne Vassilis Bitsikas.

Contribution originale

Vassilis Bitsikas, Fabien Cubizolles et Alexander F. Schier
Une famille de vertébrés sans système d’éveil hypocrétine/orexine fonctionnel
Current Biology (2024), doi : 10.1016/j.cub.2024.02.022