La course sur des millions d’années préserve la diversité génétique

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Des œufs sont clairement visibles dans la puce d’eau saine de l’espè
Des œufs sont clairement visibles dans la puce d’eau saine de l’espèce Daphnia Magna (à gauche). La puce d’eau infectée à droite de la même espèce a été castrée par le parasite et ne produit plus d’œufs. On reconnaît également l’infection au fait que la puce d’eau infectée devient opaque. On ne voit par exemple plus l’intestin (tube vert). (Photo : Université de Bâle, Jason Andras)
Des variations dans le patrimoine génétique permettent à la puce d’eau de se défendre contre l’intrusion d’un parasite. Le parasite doit alors s’adapter à son tour. Cette boucle de coévolution se déroule depuis au moins 15 millions d’années, comme l’ont démontré des chercheurs de l’Université de Bâle.

Les hôtes et leurs parasites sont en concurrence permanente : Grâce à la diversité génétique, l’hôte peut se modifier de telle sorte qu’une infection n’est plus possible. Toutefois, le parasite s’adapte rapidement - et le jeu recommence. D’après le caractère de la Reine Rouge dans le livre ’Alice au pays des merveilles’ - qui court sans cesse et fait pourtant du surplace â, on appelle cela en biologie de l’évolution le ’modèle de la Reine Rouge’.

De tels processus peuvent se dérouler sans interruption pendant plusieurs millions d’années, comme le rapporte un groupe de recherche du Département des sciences environnementales de l’Université de Bâle dans la revue spécialisée Nature Communication. Il s’agit d’une période bien plus longue que ce que l’on pensait jusqu’à présent. Pour cette étude, l’équipe de Dieter Ebert a comparé le patrimoine génétique de puces d’eau de la taille d’un millimètre, attaquées par une bactérie parasite.

Le parasite pénètre dans l’intestin des puces d’eau et s’accroche à la couche de mucus. La puce d’eau peut se défendre contre une infection en modifiant les molécules qui adhèrent à ce mucus. Le parasite adapte alors sa surface à la structure modifiée du mucus et reprend brièvement l’avantage. Ce processus de coévolution fait en sorte que la puce d’eau conserve toujours plusieurs variantes génétiques pour les molécules de surface et qu’aucune ne puisse jamais s’imposer.

Regarder encore plus loin dans le passé

Jusqu’à présent, les chercheurs ont pu retracer cette coévolution entre la puce d’eau et le parasite jusqu’à la dernière période glaciaire, il y a environ 100’000 ans. Maintenant, nous avons encore fait un bond de géant et avons pu montrer que le processus remonte à au moins 15 millions, voire 70 millions d’années", explique Dieter Ebert. Ce qui est particulièrement étonnant, c’est que le processus s’est déroulé sans interruption, bien que les conditions de vie sur la Terre aient changé plusieurs fois de manière dramatique au cours de cette période. Nous ne parlons pas d’une différence de température d’un ou deux degrés, mais de variations de plus de dix degrés et de plusieurs périodes glaciaires’. Il est même possible que le processus ait survécu à l’impact de la météorite que l’on attribue à la disparition des dinosaures.

Pour cette détection, l’équipe de recherche a utilisé trois espèces différentes de puces d’eau collectées dans la nature en Europe et en Asie. Une analyse de la parenté a montré que la division de ces espèces s’est produite il y a au moins 15 millions d’années. Malgré cela, elles étaient toutes sensibles à la même bactérie parasite.

Les chercheurs ont ensuite trouvé dans le patrimoine génétique des puces d’eau plusieurs sections codant pour des composants du système immunitaire et présentant une grande variabilité. Cette diversité permet aux puces d’eau de toujours refuser l’accès au parasite. Étonnamment, ces régions variables se trouvaient aux mêmes endroits du patrimoine génétique chez toutes les espèces de puces d’eau. Cela montre que la coévolution entre les puces d’eau et le parasite a eu lieu avant que les espèces hôtes ne se divisent, c’est-à-dire il y a au moins 15 millions d’années. Cela signifie en outre que ce processus s’est déroulé sans interruption - car en cas d’interruption, des variantes génétiques seraient perdues en un temps relativement court.

Sans variabilité, plus vulnérables aux infections

En fait, on a l’idée que l’évolution invente toujours quelque chose de nouveau. Ici, nous avons pu montrer que les mêmes variations de gènes ont été utilisées à maintes reprises sur d’énormes périodes’, explique Ebert. Chez l’homme aussi, les variations génétiques assurent une flexibilité du système immunitaire - par exemple au niveau du complexe d’histocompatibilité, qui reconnaît et combat les structures étrangères à l’organisme. Cependant, ces processus n’ont pas pu être retracés très loin jusqu’à présent. De plus, contrairement à la puce d’eau, plusieurs agents pathogènes semblent être impliqués. La diversité génétique offre une protection contre les maladies infectieuses, même celles qui apparaissent récemment. C’est pourquoi il est si important de comprendre comment cette variabilité est maintenue sur de longues périodes’, explique le biologiste de l’évolution.

Publication originale

Luca Cornetti, Peter D. Fields, Louis Du Pasquier et Dieter Ebert Long-term balancing selection for pathogen resistance maintains trans-species polymorphisms in a planktonic crustacean.
Nature Communications (2024), doi : 10.1038/s41467’024 -49726-8