Basé sur plus de dix ans de recherches menées à l’EPFL, un ouvrage de référence vise à structurer les processus de transformation des friches situées dans les territoires urbains. Un enjeu crucial du développement durable encore complexe à réaliser.
Casernes, places d’armes, aires portuaires, anciennes centrales nucléaires ou raffineries, friches ferroviaires, industrielles ou commerciales... Ces territoires laissés à l’abandon ont des origines diverses et présentent autant d’enjeux spécifiques quand il s’agit de les transformer en quartiers durables. En Suisse, selon un scénario de densité moyenne, les friches urbaines pourraient théoriquement accueillir quelque 600’000 nouveaux habitantes et habitants.
Ces territoires représentent toutefois un véritable casse-tête lorsqu’il s’agit de les réhabiliter selon les critères de durabilité du 21ème siècle: pollution des sols, imperméabilité des revêtements, accès inadaptés, démolitions coûteuses, voisinage peu attrayant, infrastructures à l’abandon, multiplicité d’acteurs et divergences des avis...
Transformer ce fardeau en opportunité, c’est ce que propose de faire le Laboratoire d’architecture et technologies durables (LAST) de l’EPFL, en publiant un ouvrage de référence destiné aux architectes, urbanistes, ingénieurs et responsables politiques impliqués dans ce type de projets. Neighborhoods in transition. Brownfield Regeneration in European Metropolitan Areas (The Urban Book Series) se base en partie sur les thèses de doctorat de Sophie Lufkin et Martine Laprise, collaboratrices scientifiques au LAST, ainsi que sur les travaux de recherche d’Emmanuel Rey, directeur de ce laboratoire dédié aux interactions entre projet architectural et transitions vers la durabilité.
Eviter la monotonie et la banalité «Le potentiel des friches urbaines a été identifié depuis les années 2000, mais l’intégration concrète de la durabilité au processus de régénération demeure toujours un grand défi», précise Sophie Lufkin. «Une partie de la réponse au manque de logement dans les territoires urbains se situe pourtant dans les friches», enchaîne Emmanuel Rey. Pour l’architecte, leur régénération en nouveaux quartiers est un enjeu du développement durable: «La transformation de bâtiments existants et l’aménagement de nouveaux espaces publics visent à préserver une âme des lieux et à mettre en oeuvre des polarités singulières, pour éviter la monotonie et la banalité de périphéries urbaines indifférenciées.»
L’ouvrage se présente en deux parties. Après une introduction théorique, les architectes expliquent quels outils permettent de garantir le pilotage et la bonne gouvernance du projet. «Dans le contexte suisse et européen, nous avons remarqué qu’au début de la transformation d’une friche, les intentions sont souvent bonnes, mais que les ambitions de durabilité étaient partiellement perdues au fil du temps», explique Emmanuel Rey. Afin d’éviter un tel scénario, les chercheuses et chercheurs ont développé un système d’indicateurs. «Ce système vise à structurer tant la détermination proactive que le monitoring opérationnel de cibles de durabilité pour ces projets. Nous présentons également des valeurs de références qui permettent de vérifier si le projet est plus ambitieux que les pratiques actuelles sur la base de travaux menés en Suisse, en France et en Belgique», complète Martine Laprise.
Cinquante indicateurs Les indicateurs sont environnementaux, économiques, socioculturels et touchent au contexte, au projet et à la gouvernance. Les futurs quartiers devront par exemple viser la neutralité carbone, favoriser la mobilité douce en leur coeur, assurer une bonne qualité de desserte en transports publics, limiter le bruit du trafic de jour et de nuit, favoriser la biodiversité et la gestion écologique des eaux de pluie, offrir un accès aisé à des espaces publics et paysagers, accueillir une mixité des profils et des revenus parmi ses habitants et une mixité des fonctions (logements, bureaux, services, loisirs et commerces), offrir un degré important de participation de la population au projet, assurer une proximité des aménités et équipements à l’exemple des écoles et des crèches...
Nous ne voulions pas créer un nouveau label de quartier durable, mais permettre aux actrices et acteurs de ces projets de s’approprier ces éléments pour inscrire concrètement leur démarche dans une transition vers la durabilité.
Vaste programme! En tout, les architectes ont sélectionné une cinquantaine d’indicateurs à suivre et à évaluer régulièrement. «Nous ne voulions pas créer un nouveau label de quartier durable, car la vocation de ce système d’indicateurs n’est pas d’assurer la promotion du projet vers l’extérieur, mais permettre aux actrices et acteurs de ces projets de s’approprier ces éléments pour inscrire concrètement leur démarche dans une transition vers la durabilité», conclut Emmanuel Rey.
A noter que dans une perspective d’open science, les auteures et auteurs de l’ouvrage ont tenu à ce que l’ensemble du texte et des images soient en libre accès.
Autres exemples de friches urbaines citées dans l’ouvrage:
ReferencesEmmanuel Rey, Martine Laprise, Sophie Lufkin, "Neighborhoods in transition. Brownfield Regeneration in European Metropolitan Areas", The Urban Book Series, Springer, Octobre 2021.