La valeur de la pièce de monnaie

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 (Image: Pixabay CC0)
(Image: Pixabay CC0)

La "petite pièce" divise les esprits : les uns trouvent la petite monnaie gênante, les autres collectionnent les pièces de monnaie. Rahel C. Ackermann s’intéresse aux pièces de monnaie dans le cadre de ses recherches. Dans un entretien, l’archéologue et numismate explique pourquoi il vaut la peine d’examiner de plus près les pièces de monnaie et à quel point les pièces de monnaie et les coutumes sont étroitement liées.

Madame Ackermann, aujourd’hui, beaucoup ne paient presque plus que par carte ou avec l’application Twint. Vous consacrez vos recherches à la numismatique. Qu’est-ce qui vous fascine dans les pièces de monnaie ’ ?

Je fais de la numismatique archéologique, ce qui signifie que les pièces de monnaie sur lesquelles je travaille sont en général des découvertes archéologiques. Les pièces de monnaie sont des sources d’information incroyablement denses - sur le plan politique, social, mais aussi en matière de compréhension de l’art. Si l’on sait dans quel contexte elles ont été trouvées, une foule d’informations s’y ajoutent. Il y a une interaction entre la datation, le fait qu’ils soient fraîchement frappés ou usés, et la distance entre le lieu de frappe et le lieu de découverte. Ce qui me fascine, c’est le rapport à l’argent qui s’y reflète. Si l’on se réfère à l’objet individuel, c’est la communication concentrée qui se résume à une petite image et à une légende très abrégée.

Les pièces de monnaie sont donc aussi un moyen de communication’.

Dans l’Antiquité, la monnaie était le média de masse par excellence. Si un empereur romain célébrait un triomphe, il y avait un cortège de triomphe à Rome et peut-être un arc de triomphe était-il érigé en souvenir.

Mais seuls ceux qui étaient sur place le savaient. Si l’on représentait cet arc de triomphe avec une légende correspondante sur une pièce de monnaie qui se répandait dans tout l’Empire romain, tout le monde voyait : ’Notre empereur a gagné’. Cela permettait également de faire connaître un nouveau souverain dans tout l’empire. Le fait que le chef d’État soit représenté est d’ailleurs apparu très tôt.

C’est encore le cas aujourd’hui : depuis l’été, le roi Charles figure sur l’argent de la Grande-Bretagne. Est-ce purement symbolique ou y a-t-il des raisons politiques ’ ?

A l’origine, c’est clairement politique : le chef d’Etat était le maître de la monnaie et garantissait l’authenticité et la valeur des pièces. Aujourd’hui, c’est plutôt symbolique ; une tradition qui se perpétue.

En revanche, les pièces de monnaie suisses se ressemblent depuis 140 ans...

Cet état de fait reflète une incroyable tradition et une stabilité de la valeur ainsi qu’une confiance dans l’argent ou, dans ce cas, dans les dessins des pièces de monnaie. Une pièce de vingt pfennigs allemands de 1880 est de la ferraille si elle n’est pas très bien conservée et si elle a une valeur de collection ou une valeur émotionnelle. Nos pièces de 1880 peuvent encore nous servir.

Vous évoquez les images des pièces de monnaie. Que voit-on sur les pièces de monnaie suisses’ ?

Les dessins des pièces suisses sont pleins de symbolisme. L’Helvetia sur les pièces de cinquante centimes ainsi que sur les pièces d’un et de deux francs était d’abord assise, jusqu’à ce que l’on trouve que c’était trop passif. Depuis les années 1870, elle se tient de manière héroïque. Elle est calme en elle-même, mais elle est armée et prête à se défendre à tout moment. C’est une image forte de l’attitude politique de la Suisse : ’Nous sommes certes neutres, mais pas inertes’. La tête de femme sur les pièces de 5, 10 et 20 centimes porte sur le bandeau l’inscription ’Libertas’ : C’est la représentation de la liberté. C’est également une image forte pour la Suisse : ’Notre liberté est importante pour nous et nous voulons la conserver’. De ce point de vue, les deux images des pièces conviennent encore aujourd’hui.

La pièce de cinq francs, en revanche, représente un homme...

La Suisse n’est pas seulement féminine. Le visage de cet homme est certes héroïquement exagéré, mais lors d’une fête de lutte, on pourrait retrouver cette personne qui représente la Suisse originelle.

Vous avez mentionné la confiance et la stabilité de la valeur. Qu’est-ce que le ’bon argent’ selon votre experte ?

Une bonne monnaie répond de manière fiable à ces exigences. Pendant très longtemps - jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, voire jusqu’au XIXe siècle - le paradigme selon lequel la valeur nominale et la valeur matérielle coïncident, c’est-à-dire qu’une pièce de métal précieux a la valeur de l’or ou de l’argent qu’elle contient, a prévalu.

Nous connaissons encore aujourd’hui cette stabilité de la valeur pour les lingots, mais plus pour les pièces. En revanche, les mauvaises pièces contiennent trop peu de métal précieux (voir aussi l’encadré ci-dessous). Du point de vue de la numismatique archéologique, les bonnes pièces sont celles qui fournissent beaucoup d’informations que l’on peut décrypter. Sachant qu’en fait, chaque objet raconte une histoire si l’on se pose les bonnes questions.

Qu’est-ce qu’une bonne pièce de monnaie du point de vue actuel ?

D’un point de vue pratique, ce sont des pièces de monnaie que l’on peut facilement dépenser à nouveau - une pièce de 50 centimes plutôt que dix pièces de cinq centimes ou, dans la zone euro, les pièces de un et deux centimes. Celles-ci atterrissent ensuite à l’aéroport dans les caisses de collecte au profit d’une OEuvre d’entraide, car on ne peut guère s’en débarrasser en faisant ses courses. D’un autre côté, une bonne pièce de monnaie est celle qui nous interpelle sur le plan émotionnel. A l’étranger, nombreux sont ceux qui regardent les motifs représentés et gardent des pièces en souvenir. En archéologie aussi, les pièces de monnaie sont des déclencheurs émotionnels : trouver une pièce de monnaie est quelque chose de spécial, et un groupe entier de pièces de monnaie est un véritable jackpot. Pour certains, le Saint Graal est une pièce d’or celtique qu’ils aimeraient trouver une fois dans leur vie.

Les pièces de monnaie sont donc liées à des émotions ?

Absolument ! Aujourd’hui encore, de nombreux enfants reçoivent au moins une fois ce que l’on appelle un Vreneli en or, c’est-à-dire une pièce d’or suisse d’une valeur de 20 francs, avec l’idée que c’est quelque chose de durable. En outre, il existe de nombreuses coutumes qui ne fonctionnent qu’avec des pièces de monnaie, comme le balancement de l’écu.

Il est également connu de jeter une pièce de monnaie dans une fontaine comme celle de la Fontana di Trevi à Rome : si l’on y jette une pièce de monnaie en faisant un vOEu, celui-ci se réalise. Souvent, les pièces de monnaie sont aussi des porte-bonheur : on utilisait les centimes en massepain pour les cochons porte-bonheur et les décorations de la Saint-Sylvestre, après qu’elles aient été retirées de la circulation comme moyen de paiement. On peut bien sûr dire que tout cela n’est que superstition, mais de telles coutumes ancestrales existent depuis que les pièces de monnaie existent, c’est-à-dire depuis deux mille cinq cents ans.

Comment vous comportez-vous au quotidien avec la monnaie ?

Je le porte sur moi dans le sac de mon pantalon et j’essaie de le dépenser quand je le peux. En Suisse, j’y parviens bien, mais à l’étranger, j’ai plus de mal, car je ne reconnais pas rapidement les différentes pièces et je paie quand même avec un billet. Quand j’observe que les gens vérifient avec intérêt la monnaie pour voir s’il y a des pièces particulières, cela me fait plaisir.

Dans sa thèse de doctorat récemment achevée, Rahel C. Ackermann a étudié les pièces de monnaie des ’seigneurs de Haldenstein, Lichtenstein et Grottenstein’. Les objets trouvés témoignent d’un mode de production conçu pour remplir sa propre caisse.

Qu’est-ce qui est passionnant dans les pièces de Haldenstein’ ?

Pour moi, ces découvertes sont particulièrement passionnantes, car elles reflètent une production en deux parties : D’un côté, l’atelier monétaire de Haldenstein près de Coire produisait de grandes pièces d’or représentatives. Les florins en argent datant des années 1790 sont de la monnaie d’exportation, on les trouve presque exclusivement en Allemagne, en Pologne et très dispersés dans le Saint Empire romain germanique. D’autre part, il y a ce que l’on appelle les Bluzger, c’est-à-dire les petites pièces de monnaie qui circulaient localement dans les Trois Ligues et qui étaient produites en masse à Haldenstein.

Pourquoi était-il souhaitable pour une si petite seigneurie de frapper sa propre monnaie ?

Cela n’aurait effectivement pas été nécessaire : La région était dominée par la ville et l’évêché de Coire et était pleinement intégrée économiquement dans les Trois Ligues et leur circulation monétaire. Mais produire de la monnaie était d’une part un prestige, d’autre part une bonne source de revenus si l’on optimisait les coûts. Dans le cas de Haldenstein, Thomas I. von Schauenstein a reçu en 1611 de l’empereur son titre de baron et en même temps le droit de battre monnaie, c’est-à-dire la licence de frapper ses propres pièces.

Frapper la monnaie et gagner de l’argent avec, comment ça marche ?

Les Haldenstein n’employaient pas d’artisans et de médailleurs particulièrement bons, et donc bon marché, pour tailler leurs poinçons. En outre, ils utilisaient juste la quantité d’argent nécessaire pour la valeur nominale, voire moins. Cela permettait de dégager une marge de bénéfice une fois que l’argent était mis en circulation. Lorsque la teneur en argent des pièces était contrôlée, on disait qu’elles étaient trop mauvaises. Elles ont été interdites et ont dû être confisquées et fondues. C’est pourquoi il ne reste aujourd’hui que peu de ces pièces.