«Nous avons été confronté à la difficulté de faire quelque chose de simple». Étudiante en systèmes de communication, Blanche Duron résume le défi de l’Assistive Technologies Challenge. Un cours-projet Master de l’initiative MAKE géré par l’association HackaHealth (et supervisé par trois professeur·es de l’EPFL), dont l’objectif est de développer des solutions technologiques simplifiant le quotidien de personnes en situation de handicap, en collaboration avec elles.
«Les personnes qui souhaitent participer nous contactent, nous définissons les problématiques et nous les soumettons aux étudiantes et étudiants qui travaillent en groupes interdisciplinaires pour trouver des solutions personnalisées», explique Alice Bruel, doctorante à l’EPFL et co-organisatrice du cours avec Alec Chevrot et Iselin Froybu. Ce semestre de printemps, six projets ont abouti (voir ). Deux d’entre eux, menés avec la coopération de la Fédération suisse des aveugles et malvoyants, s’avèrent potentiellement utiles pour de nombreuses personnes en situation de handicap.
«Ce type de projet est nécessaire pour faire avancer le développement d’outils et d’applications favorisant l’autonomie des personnes en situation de handicap, remarque Carole Collaud qui a été contactée par la fédération pour collaborer avec les étudiantes et étudiants. C’est aussi important de les sensibiliser à la différence, car ils vont ensuite avoir une place sur le marché du travail où ils seront peut-être amenés à prendre des décisions et à gérer des projets qui auront un impact sur les personnes en situation de handicap.»
Détecter les places libres
Nicolas, Amine, Louis et Jonathan ont conçu en collaboration avec Carole, l’application «Find my seat ». Celle-ci permet aux personnes aveugles ou malvoyantes de savoir où se situent les places libres dans les transports publics ou ailleurs. «C’était un plaisir de réfléchir sur ce projet destiné à améliorer son quotidien. Interagir avec elle pour arriver au prototype optimal nous a amené à adopter un autre point de vue que celui de l’ingénieur», souligne Jonathan Haymoz, étudiant en systèmes de communication.Le fonctionnement est simple, il suffit de secouer deux fois le téléphone pour enclencher et arrêter l’application qui détecte à l’aide de la caméra les places libres. L’endroit de ces emplacements (devant, à gauche, droite) ainsi que le nombre de pas nécessaires pour les atteindre, sont communiqués vocalement avec une fréquence de rappel configurable. «En discutant avec Carole, nous nous sommes rendus compte qu’un rappel toutes les 2-3 secondes était très important, remarque Louis Gevers, étudiant en microtechnique. Avoir son feedback régulièrement nous a été très utile pour améliorer notre produit.»
Pour une question de protection des données, l’application est standalone, sans aucun stockage de données, et l’écran reste noir lorsque la caméra détecte les sièges libres. «Nous avons testé des solutions basées sur la connexion Bluetooth, mais les résultats étaient beaucoup moins précis. Le défi a été d’implémenter le code dans l’application», note Amine Tourki, étudiant en microtechnique. «Nous avons été confrontés au processus de design d’un produit, poser les contraintes, trouver la solution, la prototyper et la valider», renchérit Nicolas Matekalo, étudiant en informatique.
C’est important de sensibiliser les étudiantes et étudiants à la différence, car ils vont ensuite avoir une place sur le marché du travail où ils seront peut-être amenés à prendre des décisions et à gérer des projets qui auront un impact sur les personnes en situation de handicap.
Carole Collaud
Obtenir les infos sur un médicament
En encourageant l’interdisciplinarité, l’Assistive Technologies Challenge favorise aussi l’acquisition de nouvelles compétences. «On n’avait jamais travaillé avant sur le développement d’une application mobile», relèvent Alexander Popescu, étudiant en sciences du vivant et Mehdi Krichen, étudiant en microtechnique. Avec Blanche Duron et Thibaut Stoltz, ils sont pourtant parvenus à élaborer «MedScan». L’application permet de scanner une boîte de médicaments, d’avoir accès à son nom, sa date d’expiration, au dosage prescrit et à la notice d’informations.«Je suis très content du résultat, car en Suisse, il n’y a pas d’application de ce type destinée aux personnes aveugles ou malvoyantes, relève Alain Barrillier qui a collaboré avec les étudiants. Pour diverses raisons, l’application proposée par Compendium (base de données de médicaments autorisés par Swissmedic) est difficile d’accès pour nous, notamment pour scanner le médicament, car il faut placer le code-barres dans un petit rectangle.»
Pour son appli disponible en français, allemand et italien, le groupe a donc longuement travaillé sur le scanner ainsi que sur l’interface utilisateur, basée sur les lecteurs d’écran TalkBack (Android) et Voice Over (iOS), afin qu’ils correspondent aux besoins d’une personne aveugle ou malvoyante. «Par exemple quand on lit une notice, notre regard se pose sur les titres en gras pour trouver ce que l’on cherche. Une personne aveugle ne peut pas naviguer de la même façon, nous avons donc dû réfléchir à la manière de décomposer la notice pour que la personne puisse choisir d’entendre la partie qui l’intéresse, relève Thibaut Stoltz, étudiant en robotique. On voit qu’un détail dans le design peut changer beaucoup, j’ai vraiment pris conscience de l’importance d’impliquer les utilisateurs dans la conception d’un prototype.»
Un avis partagé par toute l’équipe qui souligne la nécessité de l’échange pour prendre en compte les différentes façons de penser et d’approcher un produit. «En informatique, beaucoup de projets échouent, car cet aspect a été négligé», note Blanche Duron.
Des applis accessibles
Quelle suite pour ces deux applications - Carole Collaud a demandé à la commission d’éthique de l’EPFL l’autorisation d’utiliser l’application « Find my seat ». Et les étudiants ont présenté leur projet à l’équipe de l’application CFF Inclusive, qui va l’analyser en vue d’une potentielle implémentation. Le responsable de l’application, Reto Allemann, ayant échangé avec les étudiants dès le début du projet.Quant à « MedScan », Alain Barrillier serait ravi de l’utiliser, mais le groupe est encore indécis sur le futur de leur projet. S’ils décident de s’arrêter là, HackaHealth leur demandera de rendre le code public, afin que quelqu’un puisse, peut-être, reprendre le flambeau.