Étudier les nuages pour comprendre les évolutions du climat

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La station au sommet du Mont Helmos. ©2021 LAPI/EPFL
La station au sommet du Mont Helmos. ©2021 LAPI/EPFL
Nommée CALISHTO, une campagne de mesures atmosphériques de grande envergure s’est déroulée en automne en Grèce. Le but est de recenser, compter et caractériser les particules en suspension dans l’air, qui sont à la source des processus de formations nuageuses. À terme, ces données permettront d’affiner les modèles de prévisions climatiques.

La mécanique du climat terrestre est comme un immense puzzle. En avoir une compréhension fine et globale requiert de rassembler et combiner un nombre gigantesque de données. Or, pour établir les modèles climatiques les plus fiables possibles, une pièce manque encore: connaître les rôles précis que jouent les nuages. Pour combler cette lacune, une équipe internationale*, impliquant notamment des chercheurs du Laboratoire des processus atmosphériques et leurs impacts (LAPI) et du Laboratoire de télédétection environnementale (LTE) de l’EPFL, a mené une campagne de mesures atmosphériques d’une ampleur inédite.

Nommée CALISHTO, pour Cloud-AerosoL InteractionS in the Helmos background TropOsphere, cette campagne s’est déroulée au Mont Helmos, un site montagneux situé en Grèce. Durant tout l’automne, les chercheurs ont minutieusement recensé, compté et caractérisé les différentes particules présentes dans l’air à différents moments de la journée. Car ces microscopiques miettes de matière en suspension, également appelées aérosols, sont en quelque sorte des «graines» de nuages.

«Sans elles, il n’y aurait pratiquement pas de nuages dans le ciel», relève Athanasios Nenes, qui dirige le LAPI à l’EPFL et a co-organisé la campagne CALISHTO. «La condensation de la vapeur d’eau sur ces minuscules particules forme des gouttes et des cristaux de glace qui sont à la source des nuages, dont la nature et le type peut varier considérablement selon la composition chimique, le nombre ou la dimension de ces aérosols. En d’autres termes, des grains de sable du Sahara ou des résidus de feux de forêt n’auront pas du tout le même effet, et c’est précisément ce que nous voulons étudier».

Mieux comprendre ces processus est d’autant plus important que les nuages jouent des rôles de premier plan dans le système climatique de notre planète, et donc dans son évolution. En formant un voile de couleur clair au-dessus de la surface terrestre, ils renvoient une grande partie du rayonnement solaire vers l’espace - c’est ce qu’on appelle l’effet d’albédo. Dans le même temps, ils piègent le rayonnement à ondes longues (infrarouge) émis par la surface de la Terre, maintenant ainsi une partie de la chaleur dans l’atmosphère. Sans oublier que les processus nuageux contrôlent également la régulation et la répartition des précipitations et le cycle hydrologique dans son ensemble. Ils ont donc un impact direct sur l’approvisionnement en eau douce des écosystèmes et sur l’agriculture.

Un paramètre essentiel

Bien qu’il s’agisse d’un paramètre essentiel, l’intégration des nuages dans les modèles climatiques comporte encore de grandes incertitudes, d’autant plus qu’elle implique la prise en compte d’un large éventail d’interactions et de nombreux processus chimiques et physiques, ceci à de très petites échelles.


Or, le Mont Helmos est particulièrement intéressant pour les spécialistes de ce domaine. Implanté au centre nord de la péninsule grecque du Péloponnèse, il se trouve au carrefour de plusieurs courants atmosphériques et offre à étudier un panel de particules très représentatif, provenant aussi bien du continent européen que des villes alentour, de la mer Méditerranée et du désert africain. Le site se situe à une altitude de 2’300 mètres, soit juste au niveau où se déroulent les processus de formation des nuages. Il est donc idéal pour observer comment les particules modifient leurs propriétés.

«Cette station de mesure est unique en son genre», dit Kostas Eleftheriadis, directeur de recherche au centre NCSR Demokritos, initiateur du site du Mont Helmos et co-organisateur de la campagne CALISHTO. «Nous avons pu y observer les processus atmosphériques qui déterminent le sort des émissions - anthropiques et naturelles - de particules et de gaz à effet de serre dans la grande région de la Méditerranée orientale. Ces observations nous permettent de comprendre l’influence globale de l’activité humaine sur l’environnement, dans notre région et au-delà».

«L’un des avantages de ce lieu est d’être à l’interaction de deux couches atmosphériques distinctes: l’une basse, où s’accumulent tous les polluants générés par les activités humaines, et l’autre plus élevée et plus pure», explique Ghislain Motos, chercheur au LAPI. Grâce à la grande diversité de conditions qu’offre le site grec, les observations qui ont pu y être faites permettront de mieux comprendre les processus de formation de nuages dans le monde entier.

Une trentaine d’instruments

Pour mener ces recherches, plus d’une trentaine d’instruments sophistiqués ont été réunis au Mont Helmos et aux alentours. Certains mesurent les paramètres atmosphériques - température, humidité, force des vents, luminosité, présence de gaz tels qu’amoniaque ou dioxyde de carbone (CO2), etc. D’autres enregistrent les caractéristiques des aérosols: taille, nombre, capacité d’absorption de l’eau, composition chimique, salinité, densité, propriétés optiques, contenus biologiques. Grâce à un compteur de noyaux de condensation des nuages co-développé par Athanasios Nenes et un compteur unique de noyaux de glace dont seuls quelques groupes disposent dans le monde, les scientifiques ont pu identifier si les aérosols allaient plutôt engendrer des gouttes ou des cristaux de glace.

Sans oublier également l’utilisation d’outils de télédétection par lasers, qui fournissent des informations essentielles pour compléter celles recueillies au sommet de la montagne. «Cette technique, connue sous le nom de LIDAR, fournit les profils verticaux des aérosols depuis la proximité du sol jusqu’à 10-15 km de hauteur, nous permettant ainsi de caractériser les masses d’air arrivant au-dessus de la station et de déterminer l’origine des particules», explique Alexandros Papayannis, responsable du groupe de télédétection par lasers à l’Ecole polytechnique nationale d’Athènes et co-organisateur de CALISHTO.


Les premiers résultats montrent que les particules de poussière du Sahara peuvent considérablement augmenter la concentration de glace dans les nuages, favorisant leur capacité à pleuvoir ou à neiger. Autre constat: avec la poussière, la densité de particules biologiques augmente. Or, celles-ci peuvent agir comme de puissants nucléateurs et facilitent les processus de multiplication de la glace. Les aérosols pourraient donc être un facteur de déclenchement de pluies et de chutes de neige plus intenses. Les analyses définitives le diront dans quelques mois.

*La campagne a été organisée par:

NCSR Demokritos, Institute of Nuclear & Radiological Sciences and Technology, Energy & Safety, https://inrastes.demokritos.gr/

Center of Studies on Air Quality and Climate Change (C-STACC) at the Institute of Chemical Engineering Sciences at the Foundation for Research and Technology Hellas in Patras, http://cstacc.iceht.forth.gr/

Et sur Twitter: https://twitter.com/MtHelmosSite et https://twitter.com/pyrotrach