La prise de décisions politiques, telles que la promotion de certaines sources d’énergie, la lutte contre la pauvreté dans les régions rurales ou la limitation de la propagation de certaines maladies, ne fonctionne pas sans données comme base. Sinon, la politique devient un vol à l’aveuglette. Ou comme le dit Christoph Gössmann : "Sans données, nous tâtonnons dans le noir. Et actuellement, nous tâtonnons malheureusement encore trop souvent dans l’obscurité".
Gössmann est doctorant dans le groupe de droit, d’économie et de science des données dirigé par le professeur Elliott Ash de l’EPFZ. En collaboration avec des collaborateurs du bureau du Secrétaire général des Nations Unies (ONU), il a étudié la meilleure manière d’évaluer et de présenter la disponibilité de toutes les données des 193 États membres. Des données qui permettent de mesurer la manière dont l’Agenda 2030 de l’ONU progresse.
L’Agenda 2030 doit montrer la voie vers un monde durable en harmonie avec la nature et dans la prospérité, la paix et le partenariat. Les dix-sept objectifs de développement durable (ODD) sont au c½ur de l’agenda. Ils forment le cadre de la coopération internationale entre les États membres et rendent les progrès - ou les reculs - mesurables. Mais pour cela, il faut justement des données.
Gössmann a développé le SDG-Monitor en collaboration avec des collaborateurs de l’ONU. "Avec cette application d’analyse, nous fournissons aux décideurs des gouvernements et des organisations internationales la base de données dont ils ont besoin pour prendre des décisions fondées sur des preuves", explique Gössmann.
"Avec le SDG Monitor, nous pouvons donner une vue d’ensemble des lacunes en matière de données et fournir des indications sur la manière de les combler".
Peu de données sur la paix et d’autres thèmes
Le moniteur des ODD est disponible gratuitement et relie de manière innovante différents ensembles de données officielles des Nations unies, générant ainsi de nouvelles connaissances de manière facilement accessible. De manière générale, le moniteur donne des indications sur les lacunes de données dans certains pays et domaines thématiques, ou montre quels pays fournissent des données particulièrement cohérentes. Le moniteur génère automatiquement des graphiques et est alimenté par des données supplémentaires, par exemple sur l’organisation internationale responsable de la collecte des données pour tel ou tel indicateur (Custodian Agency).Les utilisateurs de l’outil peuvent ainsi afficher les données souhaitées pour un ou plusieurs pays et les détailler. Le graphique suivant montre la disponibilité des données par objectif de durabilité. Des thèmes comme l’énergie, la santé, l’industrie sont nettement mieux documentés que la paix, le climat ou le genre.
Des conclusions surprenantes publiées dans le rapport d’accompagnement
Un an après la mise en ligne du SDG Monitor 2022, Gössmann a publié, en collaboration avec des collègues des Nations Unies et du Global Partnership for Sustainable Development Data, un rapport sur la mi-parcours de l’Agenda 2030. Outre les conclusions sur les données disponibles et leur localisation, le rapport fournit de nombreuses informations de fond sur les raisons pour lesquelles la disponibilité des données varie tant au niveau mondial et thématique.Les auteurs y présentent les principales conclusions : Il faut davantage de données sur les priorités urgentes telles que l’égalité des sexes (objectif 5) ou les mesures de protection du climat (13). Parmi les 30 pays ayant la meilleure disponibilité des données, 18 sont des pays en développement. "Au début, nous avons été surpris par cette constatation", explique Gössmann. "En y regardant de plus près, on peut par exemple l’attribuer aux priorités nationales qui, dans les pays en développement, sont souvent plus en phase avec les ODD que dans les pays industrialisés". D’ailleurs, la Suisse fait partie du top 30.
Les Objectifs de développement durable (ODD) ont été adoptés en 2015 et doivent être atteints par les 193 États membres des Nations unies (ONU) d’ici 2030. Les 17 objectifs de développement durable sont divisés en 169 cibles. Les objectifs comprennent également 248 indicateurs, qui englobent quelque 700 séries de données. Voici quelques exemples de cibles : pas de pauvreté, pas de faim, une éducation de qualité, moins d’inégalités, des villes et des communautés durables, etc.
Le rapport constate également que les données sont plus ou moins disponibles selon l’organisation responsable de la collecte des données (Custodian Agency). Cela dépend notamment de la complexité des méthodes de collecte des données ou du niveau de développement des normes statistiques pour la collecte des données au moment du lancement de l’Agenda 2030. Par exemple, certaines données peuvent être obtenues de manière relativement rentable à partir de données satellitaires, tandis que d’autres nécessitent la réalisation d’enquêtes coûteuses et longues qui n’étaient pas encore développées en 2015.
Science et politique main dans la main
"Il est important de garder à l’esprit que le SDG Monitor ne fait que donner des réponses sur les données disponibles pour tel ou tel pays et sur tel ou tel ensemble de thèmes", explique Gössmann. "L’application ne certifie pas les progrès réalisés par le monde dans le cadre de l’Agenda 2030 - par exemple si les femmes et les hommes sont représentés à égalité dans les parlements du monde entier - mais si nous disposons tout simplement des données nécessaires pour faire une déclaration à ce sujet". Actuellement, de nombreux jeux de données sont encore incomplets. Dans ce contexte, le Monitor remplit une fonction importante de responsabilité et de transparence, qui maintient la pression pour la mise en ½uvre des ODD.Les gouvernements seraient-ils vraiment dans le noir complet en ce qui concerne la base de données de leurs décisions ? Gössmann n’est pas aussi catégorique. Notamment parce que ces dernières années, les données ont été communiquées un peu plus rapidement aux Nations unies que par le passé. En principe, les pays ne se fient pas uniquement aux données qu’ils collectent et transmettent dans le cadre du reporting sur les ODD. Il est néanmoins important d’augmenter la disponibilité des données. Mais cela n’est possible que s’il y a une volonté politique. Outre la pression publique, celle-ci peut être créée en développant des applications concrètes pour les données des ODD dans le contexte national - les données ne sont donc pas seulement utilisées pour le rapport sur les ODD, mais profondément intégrées dans les processus de décision dans les pays. Gössmann ajoute : "Il est alors financièrement intéressant pour les pays d’investir dans la collecte de données sur les ODD. Et là où les pays ne peuvent pas assumer les investissements par leurs propres moyens, nous devons investir en tant que communauté internationale pour développer les capacités locales". Dans tous ces domaines, le SDG-Monitor soutient les décideurs des organisations internationales, des gouvernements et de la société civile.
Partenariat entre l’EPF et l’ONU
Le SDG Monitor et le rapport d’accompagnement sont une pierre angulaire du partenariat entre l’EPF et l’ONU. En octobre 2023, l’EPF et les Nations unies ont signé un protocole d’accord (MoU) et annoncé leur intention d’approfondir leur collaboration. Ce partenariat vise à faire progresser le développement d’innovations sociales basées sur la technologie pour relever les défis mondiaux. Le site web donne un aperçu et des informations complémentaires.Le week-end des 20 et 21 septembre, presque un an après la signature du MoU, les deux partenaires se rencontreront à New York dans le cadre du Summit of the Future pour passer en revue les progrès du partenariat. L’événement ETH meets New York 2024 aura également lieu à cette occasion.