Les pères grenouilles de verre attentionnés ont des testicules plus petits

- EN- DE- FR - IT
Les mâles de l’espèce de grenouille de verre Hyalinobatrachium valerioi so
Les mâles de l’espèce de grenouille de verre Hyalinobatrachium valerioi sont des pères attentionnés. © Francesca Angiolani

Une équipe internationale de chercheurs, avec la participation de l’Université de Berne, montre dans une nouvelle étude que les grenouilles de verre mâles qui s’occupent de leur progéniture ont des testicules plus petits que les mâles des espèces qui ne s’occupent pas de la reproduction. Cela suggère un compromis évolutif entre la production de spermatozoïdes et les soins paternels à la couvée.

Les grenouilles de la famille des grenouilles de verre, qui vivent dans les forêts tropicales humides d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, fascinent par leur peau transparente sur le dessous du corps, qui permet d’observer les organes internes. Mais ce n’est pas seulement l’apparence de ces amphibiens qui est remarquable, c’est aussi leur comportement social. Chez de nombreuses espèces de grenouilles de verre - mais pas toutes - les mâles surveillent et s’occupent de leur progéniture. Dans une nouvelle étude, une équipe internationale, à laquelle participent également des chercheurs de l’Institut d’écologie et d’évolution de l’Université de Berne, montre qu’il existe un lien entre ces soins paternels à la couvaison et la taille des testicules des grenouilles de verre. Les résultats ont été publiés récemment dans la revue spécialisée Proceedings of the Royal Society B. Les chercheurs ont constaté que la taille des fratries était plus importante que celle des mâles.

37 espèces différentes de grenouilles de verre

Pour ces recherches, des données sur le comportement et les caractéristiques physiques de différentes espèces de grenouilles de verre ont été collectées lors d’un séjour de recherche sur le terrain de plusieurs mois dans les forêts tropicales du Brésil et de l’Équateur", explique Eva Ringler, professeure et directrice du département d’écologie comportementale à l’Institut d’écologie et d’évolution de l’Université de Berne. En outre, les chercheurs ont effectué des analyses dites phylogénétiques sur l’ensemble de l’arbre généalogique des grenouilles de verre. De telles analyses fournissent des informations sur les changements évolutifs de certaines caractéristiques corporelles, mais aussi sur les manifestations comportementales, comme par exemple les soins parentaux à la couvée. Au total, 37 espèces différentes de grenouilles de verre ont été étudiées. Chez 11 de ces espèces, les mâles s’occupent de la progéniture, chez les autres non. Notre étude est une contribution importante à la compréhension de l’évolution de la reproduction masculine", déclare Cynthia Prado, dernière auteure de l’étude et de l’Université d’État de São Paulo.

Un compromis évolutif

Dans cette étude, l’équipe a pu montrer que les grenouilles de verre mâles qui s’occupent de leur progéniture ont des testicules proportionnellement plus petits que les mâles d’espèces qui ne s’occupent pas de la reproduction. Ces résultats mettent en lumière les différentes stratégies utilisées par les différentes espèces animales pour maximiser leur succès reproductif. Nos résultats suggèrent un compromis évolutif entre la taille des testicules et les soins paternels chez les grenouilles de verre", explique Anyelet Valencia Aguilar, premier auteur de l’étude, qui travaillait jusqu’à récemment à l’Institut d’écologie et d’évolution de l’Université de Californie.

Il a travaillé à l’Université de Berne et fait maintenant des recherches à l’Université Justus Liebig de Giessen dans le cadre d’un Post-doc Mobility Grant du Fonds national suisse (FNS). Pour expliquer ce lien, il est important de savoir que chez les grenouilles de verre, comme chez tous les amphibiens, les œufs des femelles sont fécondés de manière externe : Lors de l’accouplement, la femelle pond des œufs encore non fécondés et le mâle répand immédiatement ses spermatozoïdes par-dessus. Cette fécondation externe comporte un risque de ’piratage du frai’ : Les grenouilles mâles qui parviennent à faire parvenir leurs spermatozoïdes à une ponte fraîche et fécondent ainsi les œufs qui n’ont pas déjà été fécondés par les spermatozoïdes du mâle d’accouplement initial.

Lorsqu’un mâle surveille sa propre couvée, il réduit le risque de fécondation par d’autres mâles et diminue ainsi la pression de sélection évolutive pour une plus grande production de spermatozoïdes - ce qui conduit finalement à des testicules plus petits chez les mâles d’espèces qui pratiquent l’incubation. Notre étude souligne donc le rôle important de la reproduction paternelle dans l’évolution de la taille des testicules chez les espèces à fécondation externe’, conclut Ringler.

Des relations similaires documentées chez les primates

Nous avons été surpris de voir à quel point ces relations sont évidentes chez les grenouilles de verre", explique Ringler. Jusqu’à présent, de tels liens entre les organes génitaux masculins et le comportement de reproduction étaient surtout connus chez les primates : Les mâles des espèces qui forment des harems sont grands et puissants afin d’éloigner les rivaux, ce qui entraîne des organes génitaux plus petits, car ils n’ont pas de concurrence lors de l’accouplement. A l’inverse, les mâles des espèces à groupes mixtes et à accouplement libre ont des organes génitaux relativement grands afin de maximiser le succès de la fécondation, car de grands organes génitaux vont généralement de pair avec une grande production de spermatozoïdes. Dans ces espèces, la compétition masculine ne se joue donc pas avant l’accouplement, mais après, au niveau des spermatozoïdes. ’Il est très excitant de constater que nous trouvons des relations évolutives similaires chez les grenouilles de verre. Ces dernières années, il est apparu de plus en plus clairement qu’il reste encore de nombreux aspects fascinants à découvrir chez les grenouilles de verre’, explique Ringler.

La recherche sur les grenouilles de verre se poursuit : l’équipe de recherche d’Eva Ringler étudie actuellement, dans le cadre d’un projet de recherche du Fonds national suisse (FNS), les relations entre le comportement de soins aux larves, l’utilisation de l’espace, la cognition et la communication chez différentes espèces de grenouilles de verre. Nous savons encore très peu de choses sur le comportement social et reproductif de nombreuses espèces et sur les capacités cognitives qui y sont liées. Notre projet doit contribuer de manière importante à mieux comprendre les liens entre comportement, reproduction et cognition’, conclut Ringler.