Les besoins sont élevés, la pénurie de dermatologues est aiguë : dans de nombreux pays d’Afrique, il y a moins d’un spécialiste en dermatologie pour un million de personnes - au lieu d’un spécialiste pour 50 000 comme le recommande l’Organisation mondiale de la santé (OMS). C’est surtout dans les régions rurales d’Afrique que cette pénurie de spécialistes se fait sentir : Jusqu’à 87 pour cent des enfants souffrent de maladies de peau non traitées.
Le projet PASSION (abréviation de Pediatric AI Skin Support In Outreach Nations) vise à remédier à cette situation : Des chercheurs de l’Université de Bâle autour d’Alexander Navarini, en collaboration avec des collègues de Madagascar, du Malawi et de Guinée, ont jeté les bases d’un meilleur soutien du diagnostic dermatologique dans ces régions grâce à l’intelligence artificielle (IA). Ils présenteront le projet à la conférence ’MICCAI 2024’ (International Conference on Medical Image Computing and Computer Assisted Intervention) à Marrakech.
Absence d’images de peau foncée
Si une IA doit par exemple reconnaître un eczéma à partir d’une photo, elle doit d’abord apprendre à quoi ressemble cet eczéma sur des centaines d’images. Or, il existe surtout des photos de problèmes de peau chez les types de peau clairs, que les cliniques d’Europe et des États-Unis ont créées à des fins de documentation. Le manque de soins médicaux dans de nombreux pays d’Afrique signifie également qu’il n’y a pas beaucoup d’images des problèmes de peau sur les peaux pigmentées. Si les programmes d’IA ne s’entraînent que sur des photos de peaux claires, ils ont beaucoup plus de mal à diagnostiquer les changements sur les peaux foncées.Les chercheurs ont donc créé une nouvelle base de données contenant des images de quatre maladies de peau très fréquentes : Eczéma, infections fongiques de la peau et des ongles, gale et infections cutanées superficielles à streptocoques ou staphylocoques. Ce jeu de données permet d’entraîner de nouveaux programmes d’IA pour le diagnostic dermatologique, mais aussi de tester la précision de modèles d’IA déjà existants.
De 2020 à 2023, des dermatologues locaux de Madagascar, du Malawi et de Guinée ont réalisé les clichés avec le consentement des personnes concernées, les ont annotés avec le diagnostic ainsi que des informations sur l’âge, le sexe et la localisation du corps, puis les ont intégrés dans la base de données anonymisée. Celle-ci comprend désormais plus de 4200 photos de lésions cutanées chez environ 1300 patients, dont deux tiers ont moins de 18 ans.
Auto-diagnostic avec le smartphone
Notre vision est que chaque patiente et chaque patient puisse prendre gratuitement et de manière autonome une photo de son problème de peau avec son smartphone et la télécharger. La personne recevra ensuite une recommandation de traitement de la part de l’IA’, explique Alexander Navarini. Si la méthode est aussi précise qu’espérée, elle pourrait être utilisée pour le triage et, le cas échéant, pour le traitement initial. Ce n’est qu’en cas de persistance des symptômes qu’il serait fait appel à des dermatologues humains.Actuellement, nous testons progressivement la méthode dans le cadre d’une étude de validation à Madagascar. Dès que le taux de réussite sera supérieur à 80%, cette nouvelle possibilité de diagnostic sera proposée avec un accompagnement scientifique’, explique Philippe Gottfrois, doctorant dans le groupe de recherche de Navarini et premier auteur de l’étude.
Dans les étapes suivantes, les chercheurs souhaitent élargir la base de données en y ajoutant davantage d’images, notamment de maladies cutanées tropicales négligées. Ils espèrent que l’IA permettra de réduire l’importante lacune dans la prise en charge dermatologique de ces régions.
Publication originale
P. Gottfrois et al.
PASSION for Dermatology : Bridging the Diversity Gap with Pigmented Skin Images from Sub-Saharan Africa (PASSION pour la dermatologie : combler le fossé de la diversité avec des images de peau pigmentée d’Afrique subsaharienne).
Medical Image Computing and Computer Assisted Intervention - MICCAI 2024 Conference paper, doi : 10.1007/978-3’031 -72384-1_66