Madame Santoro, quelle est la fonction des compliments dans les relations interpersonnelles ?
Lorsqu’on fait un compliment, on se concentre sur les aspects positifs de la personne en face de soi. Nous montrons que nous sommes bienveillants envers quelqu’un et cela contribue à nous rendre sympathiques. Cela crée une proximité et renforce la relation - même si nous ne connaissons pas encore très bien une personne. Parfois, on fait aussi des compliments par précaution, par exemple pour ne pas paraître jaloux. Mais attention : si un compliment semble exagéré ou inapproprié, il semble faux et nous avons l’impression de nous moquer de nous.Comment savoir si un compliment est sérieux ou simplement flatteur ?
Si le compliment est adapté à la situation, il doit être sérieux. La relation que l’on entretient avec une personne est le critère le plus important. Imaginez que la vendeuse d’un magasin de vêtements vous dise à quel point la robe vous va bien. Puis une autre cliente arrive et vous fait également un compliment. Ce dernier est beaucoup mieux perçu, car la cliente n’a aucun intérêt à ce que j’achète la robe - contrairement à la vendeuse. En linguistique, nous appelons ces compliments spontanés prototypiques, ils sont généralement les plus appréciés. En comparaison, il existe des compliments que l’on reçoit sur demande : ’Que penses-tu de ma robe’ - ’Elle te va bien’. Mais souvent, la frontière entre le sérieux et la flatterie est floue.Ce qui est censé être un compliment n’est pas forcément bien perçu par l’autre...
C’est vrai ! Faire le bon compliment au bon moment est aussi très différent d’une culture à l’autre. Dans mon pays d’origine, l’Italie, par exemple, il est bien vu d’affirmer que quelqu’un a l’air jeune.En Chine, en revanche, ce n’est pas flatteur, car l’âge est synonyme de sagesse. On ne veut donc pas paraître trop jeune. En règle générale, les compliments sur l’apparence sont plus risqués que ceux sur la performance. Et : avec un compliment, on révèle beaucoup sur soi-même et sur ses propres valeurs.
Quel est le rôle des compliments en Italie ?
Un rôle très important ! Sans compliments, on a l’impression qu’il manque quelque chose. On ne se sent pas apprécié. Cela vaut aussi bien dans la famille que dans la société en général.Vous vivez depuis quelques années en Suisse alémanique, après avoir vécu en Allemagne. Quel rôle jouent les compliments ici ?
Ils sont plus rares que dans mon pays. En revanche, on peut partir du principe qu’un compliment est vraiment sérieux lorsqu’il est prononcé. Cela lui donne une plus grande valeur. Lorsque ma s½ur m’a rendu visite en Allemagne, elle était irritée et déçue de ne pas recevoir les compliments auxquels elle était habituée.
En ce qui concerne les compliments, vous venez d’une autre culture. Est-ce que cela a déjà donné lieu à des situations bizarres ?
Le contexte culturel d’une personne détermine en grande partie la manière dont quelque chose est perçu. Un exemple : les femmes : En Italie, en cas de doute, on appelle une femme ’signorina’ et non ’signora’. On ne se trompe pas avec une jeune personne, une personne plus âgée se sentira flattée. Si l’on s’adressait à une femme en l’appelant ’Mademoiselle’, elle ne le prendrait pas comme un compliment de nos jours. Cet exemple montre que l’on ne peut pas simplement traduire d’une langue à l’autre.
Les Suisses ont-ils du mal à faire des compliments ?
Par rapport aux Italiennes et aux Italiens, un peu. Ils ont besoin de plus de temps avant de commencer à faire des compliments. Ils doivent déjà être assez sûrs de leur relation avant d’oser le faire. D’un autre côté, on est aussi moins habitué à recevoir des compliments.Il n’est pas toujours facile d’accepter un compliment. Que conseillez-vous ?
Recevoir un compliment peut être trop exigeant, et on peut même le refuser en se montrant modeste. On dit par exemple : ’Ah, mon texte n’est pas si bon que ça’, mais celui qui fait un compliment veut qu’il soit accepté. Si quelqu’un réagit modestement, on confirme le compliment en le renforçant : ’Le texte est vraiment très bien formulé’.Faut-il lui rendre la pareille en lui adressant un contre-compliment ?
Le besoin de rendre un compliment est compréhensible. Il se peut même que quelqu’un ne trouve le courage d’exprimer un compliment qu’après en avoir reçu un lui-même. Un compliment retourné n’est toutefois pas un prototype et a donc moins d’impact, même s’il est sincère. Je recommande de renvoyer un compliment avec un certain retard, et non pas immédiatement dans la même situation. Cela permet de surprendre l’autre personne et de donner l’impression qu’il s’agit d’un vrai compliment.Vous enseignez l’italien. Peut-on apprendre aux germanophones à faire des compliments ’all’italiana’?
C’est une question d’entraînement. Au début, mes élèves sont gênés de faire des compliments. Mais quand ils se lancent, ils le font vraiment. Dans une autre langue, on peut s’exprimer très différemment que dans la sienne, et on dit en cours de langue des choses qu’on ne dirait peut-être jamais dans la vraie vie. Il y a quelques années, j’avais un couple dans un cours pour seniors. Il lui a dit ’Ti amo’, et elle a eu les larmes aux yeux. Elle a dit : ’En allemand, il ne m’a jamais dit qu’il m’aimait’. Si vous apprenez l’italien, vous devriez passer du temps au ’pays des compliments’, les recevoir dans les oreilles.
Félicitez-vous particulièrement vos élèves ?
Parfois, peut-être même un peu trop. D’une part, je veux créer une bonne ambiance d’apprentissage. D’autre part, je le fais très consciemment pour que mes élèves apprennent le vocabulaire, par exemple les synonymes de ’bravo’. Cela fait tout simplement partie de l’apprentissage de l’italien. C’est de la culture. En linguistique, on appelle cela la pragmatique. C’est ce que l’on met le plus de temps à maîtriser. On ne peut pas l’apprendre comme on apprend le vocabulaire ou la grammaire, et le processus ne s’arrête jamais.La pragmatique est une sous-discipline de la linguistique qui s’intéresse à la manière dont la langue est utilisée. Contrairement à la sémantique, qui étudie la signification des mots indépendamment du contexte, la pragmatique considère la situation de communication dans laquelle une déclaration linguistique est faite. Le contexte marque donc de son empreinte la dimension non verbale du message. Exemple : si l’on demande : "Avez-vous une montre", cela signifie sémantiquement "Possédez-vous une montre", mais pragmatiquement, cela signifie : "Pouvez-vous me dire quelle heure il est ?
Giuliana Santoro est originaire de la région de Molise, dans le sud de l’Italie. Elle s’est installée en Allemagne en 2007 pour apprendre correctement l’allemand, qu’elle considère comme sa langue de c½ur. Depuis 2013, elle vit en Suisse centrale. Elle enseigne l’italien comme langue étrangère dans le secondaire dans le canton d’Uri (12-14 ans) ainsi qu’au centre de langues de la Haute école de Lucerne. Dans sa thèse de doctorat, elle étudie la manière dont les actions linguistiques sont enseignées dans les manuels d’italien destinés aux germanophones (Didattica degli atti linguistici nei manuali d’italiano LS indirizzati agli apprendenti germanofoni di livello A1-C2). Le projet de doctorat est rattaché au département d’études italiennes ( Angela Ferrari) du Département des langues et littératures de l’Université de Bâle. Elle est donc également membre de la Hermann Paul School of Linguistics (HPSL), le programme doctoral de l’Université de Bâle et de l’Université de Fribourg-en-Brisgau.