Martin Ackermann est directeur de l’Eawag depuis le 1er janvier. Une période suffisante pour faire un premier bilan et envisager les orientations à venir de l’Institut suisse de recherche sur l’eau.
Vous occupez le poste de directeur de l’Eawag depuis 105 jours. Comment évaluez-vous l’Institut de recherche sur l’eau à l’issue de cette période?
Je connaissais déjà l’Eawag de la perspective du chercheur ainsi que du responsable de groupe et de département, je savais donc comment l’institut fonctionne. Mais j’ai été étonné par le nombre d’activités et de projets de recherche dont je ne mesure la réelle portée qu’aujourd’hui. Citons par exemple notre recherche sur les villes du futur et sur la problématique toujours plus présente du réchauffement et de la sécheresse. Mais aussi nos projets sur le terrain dans les pays du Sud où se posent des questions cruciales sur l’avenir de l’approvisionnement en eau. J’ai beaucoup appris sur ces sujets.Je suis particulièrement impressionné par l’engagement de l’ensemble des collaborateurs et collaboratrices qui travaillent dans leurs domaines et au-delà à trouver une solution aux grands défis de notre époque. Leur motivation et leur passion sont immenses.
Vous avez dit à votre arrivée que les collaboratrices et collaborateurs de l’Eawag devaient être agiles. Qu’entendez-vous par là?
Il s’agit de se remettre régulièrement en question et de réfléchir à la manière dont ce que l’on fait peut avoir le plus d’impact possible au service de la société. Se demander donc, comment les populations peuvent tirer le meilleur parti de la recherche et des connaissances.Pour résumer, être agile signifie se demander si notre travail répond à un besoin, et où et comment générer un impact maximal.
Cela s’applique à l’ensemble des collaboratrices et collaborateurs de l’Eawag.
En tant que chercheur, je sais que l’intérêt et la curiosité sont le moteur pour développer des solutions et des innovations, mais aussi de nouveaux concepts et des technologies novatrices. Cela signifie que l’Eawag doit toujours réserver une place à la recherche qui n’est pas encore discutée au sein de la société. Cette marge de manoeuvre est essentielle pour l’ensemble du processus de recherche. Il est crucial que nous puissions associer nos conclusions, c’est-à-dire la compréhension du fonctionnement des choses, au développement de solutions pour des problèmes réels.
Nous ne sommes donc pas un institut purement universitaire. Nous sommes un institut de recherche qui développe des solutions.
Et quel est précisément votre rôle?
Chaque chercheuse et chercheur est ancré dans son environnement et en connaît les questions fondamentales. Avec mes collègues de la direction, mon rôle est d’identifier les problèmes et les difficultés sur un spectre plus large et de partager avec les collaboratrices et collaborateurs cette vision d’ensemble. Je suis une sorte de médiateur qui identifie les besoins et les intègre à la discussion scientifique en les combinant avec les connaissances des collaboratrices et collaborateurs de l’Eawag. Il s’agit aussi déterminer les limites du possible et du faisable pour ensuite définir une stratégie globale.C’est exact. Lenny Winkel et Florian Altermatt sont venus renforcer la direction depuis mars. Christian Stamm est le nouveau directeur adjoint de l’Eawag.
À l’Eawag, la direction est un organe stratégique non intégré à la ligne hiérarchique. L’idée est de travailler un certain temps au service de l’institut et d’y apporter son expertise personnelle. Afin d’être plus agile et flexible à ce niveau, les membres travaillent à tour de rôle au sein de la direction pour une période donnée. Cela permet d’une part aux collègues de continuer à travailler dans leurs domaines de recherche respectifs, et, d’autre part, de doter l’organe de la flexibilité nécessaire pour réagir aux développements stratégiques. L’agilité est là aussi décisive, conformément à notre mission.
Quels sont à votre avis les grands défis à relever et comment l’Eawag veut-il les aborder?
Les thèmes les plus brûlants sont le changement climatique, la perte de biodiversité, les cycles des nutriments et la présence de nouveaux organismes et de nouvelles substances dans notre environnement; des sujets qui se rapportent tous à l’eau. L’eau est au coeur du problème et à la croisée de systèmes complexes et parfois concurrentiels.Cela rend notre recherche fondamentale, car elle apporte un soutien, du constat à la mise en oeuvre, et ce, en Suisse, en Europe et dans le monde.
L’important est d’avoir un point de convergence clair. En l’occurrence, l’eau pour nous. Afin d’appréhender la diversité et la complexité du champ de recherche, nous avons besoin d’un large profil de recherche, d’une recherche diversifiée et motivée par l’intérêt commun, avec pour objectif clairement défini de trouver des solutions. C’est pourquoi, à l’Eawag, les chercheuses et chercheurs en sciences naturelles, en ingénierie et en sciences sociales travaillent en étroite collaboration. En effet, pour résoudre un problème, la science et la technologie ne sont souvent qu’un point de départ. Ce sont ensuite les processus politiques et sociétaux qui ancrent une solution dans la durée. À cela s’ajoutent des partenariats étroits avec les parties prenantes sur le terrain et un réseau international. En outre, la formation universitaire et professionnelle tiennent une place prépondérante à l’Eawag.
Dans quelle mesure les défis concernent-ils aussi la collaboration au sein du domaine des EPF et avec d’autres institutions?
Prenons par exemple la crise climatique. Elle nous concerne à de multiples niveaux, car elle modifie non seulement notre environnement, mais aussi nos activités économiques, nos habitats et nos modes de vie ou encore notre santé. Les gros problèmes sont donc complexes et interdépendants, ce qui nécessite une vision d’ensemble. Et l’Eawag ne peut pas les résoudre seul. Il est par conséquent indispensable de mieux exploiter les synergies existantes dans le domaine de la recherche et d’en développer de nouvelles. À cela s’ajoutent d’étroits partenariats avec les parties prenantes sur le terrain ainsi que la concertation et le dialogue avec les autorités et les politiques.Nous faisons partie du domaine des EPF et disposons ensemble d’une immense force d’innovation.
Le défi consiste à présent à coordonner cet effort de manière efficiente et ciblée, et à le rendre exploitable sans affaiblir les forces en présence. Je pense que le domaine des EPF, en tant que champ de recherche moteur en Suisse, porte une part de responsabilité; on peut attendre des solutions de notre part.
Le Conseil fédéral a récemment annoncé des coupes budgétaires qui concernent le domaine des EPF. Quelles en seraient les conséquences pour l’Eawag?
Ces coupes nous mettraient en grande difficulté. À l’Eawag, le budget est fixe en majeure partie, destiné aux coûts des infrastructures et du personnel. Les coupes réduiraient de moitié notre petit budget flexible. Cela aurait un impact considérable sur la mission nationale de l’Eawag et sur notre travail de recherche.Quels sont les projets de l’Eawag pour les mois à venir?
Nous sommes en train d’évaluer les priorités stratégiques de l’Eawag avec les collègues de tous les départements. Nous menons des discussions pour savoir s’il nous faut affûter notre profil et où, ou encore de quelles idées et visions s’emparer et mener à bien. Nous ne révolutionnons évidemment pas tout ni ne réinventons l’Eawag dans son ensemble. Mais un changement de direction est une bonne opportunité pour revoir notre copie, conserver ce qui est judicieux et intégrer des champs encore trop peu pris en compte.Portrait de Martin Ackermann
Martin Ackermann a étudié la biologie à l’Université de Bâle où il a obtenu son doctorat en 2002. Il a ensuite travaillé deux ans comme post-doctorant à l’University of California, à San Diego. En 2004, il devient premier assistant à l’ETH Zurich et professeur assistant FNS en mars 2006, puis est nommé professeur extraordinaire en 2008 et professeur ordinaire en 2015 par le Conseil des EPF. Outre son poste d’enseignant, Martin Ackermann a dirigé pendant dix ans le département de recherche Microbiologie de l’environnement à l’Eawag, un département comptant 50 collaboratrices et collaborateurs et leader dans la recherche en microbiologie aquatique axée sur les solutions.
Avec son groupe de recherche, Martin Ackermann travaille sur les questions de fond concernant l’écologie et l’évolution des bactéries. L’objectif est d’élargir la compréhension de la biologie des bactéries dans la nature et de fournir des résultats représentant une valeur ajoutée pratique pour le contrôle et l’utilisation des activités bactériennes.
Martin Ackermann dirige l’Eawag depuis le 1er janvier 2023.