À une époque de crise climatique et de pénurie alimentaire, la culture de microalgues est prometteuse et pourrait bouleverser les méthodes de production de la nourriture animale, du bioplastique ou du biocarburant. Cet énorme potentiel est toutefois encore peu utilisé, car les méthodes sont encore inabouties. L’un des défis consiste notamment à protéger les cultures des prédateurs. Une nouvelle publication de l’Eawag montre que les co-cultures de plusieurs espèces de microalgues sont plus résistantes contre les nuisibles que les monocultures.
Depuis des centaines d’années, différentes populations récoltent dans les lacs et les mers des algues sauvages microscopiques pour les manger. On sait par exemple que les Aztèques utilisaient des filets à fines mailles pour récolter la spiruline à la surface du lac Texcoco. Celle-ci était ensuite séchée et utilisée dans une multitude d’aliments.
Aujourd’hui encore, les microalgues sont appréciées comme super aliment en raison des substances qu’elles contiennent, telles que des antioxydants ou des acides gras oméga 3, et on leur prête de nombreuses vertus bénéfiques. Le potentiel de ces minuscules végétaux est néanmoins bien supérieur à une simple utilisation comme compléments alimentaires. Les microalgues pourraient contribuer à résoudre les problèmes les plus urgents du monde moderne.
Leur croissance rapide, leur aptitude à lier le dioxyde de carbone et leur teneur élevée en protéines, lipides et glucides rendent les microalgues intéressantes pour toute une série d’applications industrielles, notamment la production de bioplastique et de biocarburant ou le stockage du dioxyde de carbone.
Leur utilisation pour l’alimentation animale dans l’agriculture présente aussi un haut potentiel. En effet, comparé par exemple à la culture du soja, la teneur en protéines souhaitée est obtenue en un temps plus court avec les microalgues, et ce, sur une moindre surface de terrain et avec moins d’eau. Plusieurs travaux de recherche se consacrent actuellement à développer cette source de nourriture, comme l’Agroscope dans le projet Algafeed. Mais il reste des défis à relever qui compliquent la rentabilité de la production. L’un d’eux est la protection des cultures contre les prédateurs, les parasites et les agents pathogènes.
Sur ce point, une récente publication de l’Institut de recherche sur l’eau Eawag fournit à présent une nouvelle approche.
Les microalgues constituent dans la nature la base de la chaîne alimentaire dans les cours d’eau, car elles sont consommées par le zooplancton (dont font partie les petits animaux tels que les puces d’eau ou encore les flagellés herbivores uniquement visibles au microscope). Ce dernier sert à son tour de nourriture à des êtres vivants plus gros comme les poissons. Lorsque l’on cultive des microalgues à ciel ouvert dans des étangs artificiels, nettement moins onéreux que les photobioréacteurs, il est pratiquement impossible d’empêcher l’infiltration de zooplancton. À cela s’ajoute un autre facteur aggravant: ce sont précisément les espèces d’algues les plus rentables, parce qu’elles se développent le plus vite (comme Chlorella ou Nannochloropsis), qui sont le plus vulnérables aux prédateurs en raison de la taille assez petite de leur corps cellulaire.
Patrick Thomas, postdoctorant à l’Eawag, a pu montrer qu’une co-culture de plusieurs microalgues pourrait leur éviter d’être décimées par des prédateurs.
Dans leur étude, l’équipe travaillant avec le postdoctorant a cultivé l’espèce Nannochloropsis limnetica avec une autre microalgue, Botryococcus braunii. Cette seconde espèce est économiquement intéressante pour sa forte teneur en hydrocarbures pouvant être utilisés pour la fabrication de biocarburants, ainsi que pour ses pigments de haute qualité. Si elle ne croît que très lentement, B. braunii présente néanmoins un autre avantage: comme l’ont découvert les chercheuses et chercheurs, les co-cultures de Nannochloropsis et de B. braunii sont beaucoup plus résistantes aux prédateurs très répandus Daphnia magna (une puce d’eau d’environ 2 mm) et Poterioochromonas malhamensis (un flagellé microscopique) qu’une monoculture de Nannochloropsis.
La biomasse et le taux de croissance étaient également plus élevés en co-culture. Selon Patrick Thomas: «Nous l’expliquons par le fait que B. braunii forme d’une part des colonies plus grandes, immangeables par les prédateurs, leur rendant de ce fait les cellules de Nannochloropsis moins facilement accessibles. L’espèce est d’autre part connue pour libérer des composés chimiques tels que les acides gras libres, qui fonctionneraient également comme un mécanisme de défense.»
Les interactions positives entre les deux espèces d’algues jouent probablement aussi leur rôle. «La co-culture permettrait de mettre à profit les propriétés complémentaires des deux espèces d’algues», complète le postdoctorant. Par ailleurs, une telle co-culture permet également de réduire les quantités de pesticides, lesquels peuvent être nocifs pour l’environnement et peuvent favoriser l’apparition de résistances chez les prédateurs. «Nous espérons que nos résultats contribueront à réduire les coûts de culture des microalgues et à rendre plus rentable la culture à grande échelle.»
Comme le souligne le chercheur, sur la base de la preuve de concept, il faudra encore de nombreuses recherches complémentaires et études pilotes proches de la pratique pour explorer et approfondir le sujet. Les prochaines étapes pourraient se concentrer sur le passage à des échelles plus grandes, à d’autres espèces ou à d’autres environnements, par exemple en eau salée.
Thomas, P. K.; Arn, F. J.; Freiermuth, M.; Narwani, A. (2024) Botryococcus braunii reduces algal grazing losses to Daphnia and Poterioochromonas through both chemical and physical interference, Journal of Applied Phycology , doi: 10.1007/s10811’024 -03330-x , Institutional Repository
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