Production de bioplastique à partir des eaux usées

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Photo de couverture: Bioplastique issu des eaux usées
Photo de couverture: Bioplastique issu des eaux usées


Les stations d’épuration peuvent faire plus que traiter les eaux usées. À l’avenir, elles permettront aussi de revaloriser les ressources. Les chercheuses et chercheurs de l’Eawag s’appliquent notamment à utiliser des bactéries pour transformer en bioplastique le carbone organique contenu dans les eaux usées.

Le traitement des eaux usées pour la protection de la santé humaine et des cours d’eau reste la mission première des stations d’épuration. Par ailleurs, la récupération des ressources gagne en importance dans l’optique d’une économie circulaire. Les eaux usées contiennent en effet beaucoup de carbone organique, lequel est souvent transformé en méthane pour produire de l’énergie. Antoine Brison et Nicolas Derlon du département Technologie des procédés de l’Eawag ont étudié les possibilités et les manières de transformer le carbone organique en bioplastique, un produit de valeur supérieure. Ils travaillent pour cela avec des bactéries capables de stocker le carbone organique sous forme de polyhydroxyalcanoates (PHA). Ces biopolymères servent de source d’énergie et de carbone aux bactéries. Ils peuvent être extraits des cellules bactériennes et transformés en plastique biodégradable.

S’il était possible de récupérer le bioplastique à partir des eaux usées, cela présenterait plusieurs avantages par rapport au mode de fabrication actuel. Les PHA sont actuellement produits dans des conditions stériles à partir de matières premières primaires telles que le sucre ou les huiles végétales. Les coûts de production sont très élevés, raison pour laquelle le bioplastique PHA ne réussit pas à concurrencer les plastiques à base de pétrole, malgré ses propriétés attrayantes, et reste par conséquent un produit de niche. L’utilisation du carbone organique présent dans les eaux usées et disponible gratuitement ainsi que de cultures microbiennes mixtes qui ne nécessitent aucunes conditions stériles gourmandes en énergie est par conséquent une approche prometteuse.

Trois étapes sont nécessaires pour la production de ces bioplastiques à partir des eaux usées: il faut tout d’abord y récupérer autant de carbone organique que possible. Ce carbone doit ensuite fermenter pour se transformer en acides gras volatiles, les précurseurs des PHA. Dans ce substrat riche en acides gras, les chercheuses et chercheurs peuvent ensuite élever de manière ciblée les bactéries de stockage des PHA.

Des micro-tamis compacts pour séparer le carbone

Pour séparer le carbone organique des eaux usées, les chercheuses et chercheurs ont comparé deux méthodes distinctes: d’une part, les décanteurs primaires présents dans la plupart des stations d’épuration, d’autre part des micro-tamis, représentant une technologie de séparation alternative. Les résultats montrent que les deux méthodes sont aussi efficaces l’une que l’autre pour séparer le carbone organique des eaux usées. Le rendement était particulièrement élevé lorsqu’un floculant avait été ajouté aux eaux usées, afin que les petites particules s’agglomèrent en de plus grosses et puissent ainsi être mieux séparées. De cette façon, 60% du carbone organique contenu dans les eaux usées ont pu être récupérés.

La fermentation du carbone obtenu par les deux technologies de séparation a produit des substrats dont la composition et la quantité d’acides gras étaient similaires et qui se prêtaient donc dans la même mesure à la production de plastique PHA. Toutefois, les micro-tamis ont le gros avantage d’être nettement plus petits; ils nécessitent seulement 10 à 15% de la place des décanteurs primaires. Cela a convaincu certaines stations d’épuration suisses, comme celle de Sihltal (Zurich), qui utilisera les micro-tamis dès 2023.

Les bactéries de stockage des PHA avantagées dans les milieux pauvres en nutriments

Pour la production de plastiques PHA, il faut cultiver sur le substrat de départ riche en acides gras une biomasse contenant de nombreuses bactéries stockant les PHA. Les chercheuses et chercheurs ont donc étudié les conditions dans lesquelles ces bactéries croissent le mieux et peuvent s’imposer face à d’autres bactéries qui ne stockent pas les PHA. Les PHA étant des substances de stockage que les bactéries ne produisent que dans des conditions de croissance difficiles, par exemple lorsqu’un nutriment important comme le phosphore fait défaut, on pouvait supposer qu’une carence en nutriments constituerait un avantage sélectif pour les bactéries de stockage des PHA. Dans le centre d’essai de l’Eawag, les chercheuses et chercheurs ont donc expérimenté avec des eaux usées synthétiques présentant différents rapports de carbone au phosphore. L’équipe a constaté que la part des bactéries de stockage des PHA dans la communauté microbienne augmentait lorsque la disponibilité en phosphore diminuait. Dans le meilleur des cas, les bactéries de stockage des PHA dominaient à plus de 90%, produisaient simultanément le plus de plastique PHA, et éliminaient complètement le carbone et le phosphore des eaux usées.

Les expérimentations ont ensuite été menées avec des eaux usées réelles dont la composition a varié au cours des 150 jours de l’essai. Bien que les nutriments que sont le phosphore et l’azote n’aient pas été limitants de manière continue, 70% de la biomasse prenaient la forme de PHA à la fin de l’essai.

Utilisations possibles du bioplastique issu des eaux usées

D’autres expériences seront nécessaires pour comprendre et optimiser les processus de production du bioplastique à partir des eaux usées avant de pouvoir procéder à des essais pilotes dans les stations d’épuration publiques.

Mais où les chercheuses et chercheurs voient-ils des possibilités d’utilisation s’il est un jour possible de produire du bioplastique à partir des eaux usées? «Même si ces plastiques étaient un jour économiquement rentables, il serait impossible de les produire en quantité suffisante pour couvrir la demande de la société en équivalents à base de pétrole», explique Antoine Brison. De plus, un obstacle majeur à l’utilisation du bioplastique issu des eaux usées est le manque de cadre juridique et d’acceptation sociétale. Pour ce bioplastique, A. Brison voit plutôt un potentiel dans les applications de niche spécifiques, par exemple comme enveloppe pour les engrais, afin de parvenir à une libération lente. Une autre possibilité serait le béton autoréparant sur lequel travaille une entreprise néerlandaise. Les PHA pourraient servir de source de carbone pour les bactéries, qui réparent les fissures dans le béton lorsque de l’eau s’infiltre en stimulant la formation de calcaire.

Brison, A.; Rossi, P.; Gelb, A.; Derlon, N. (2022) The capture technology matters: composition of municipal wastewater solids drives complexity of microbial community structure and volatile fatty acid profile during anaerobic fermentation, Science of the Total Environment, 815, 152762 (13 pp.), doi: 10.1016/j.scitotenv.2021.152762 , Institutional Repository

Brison, A.; Rossi, P.; Derlon, N. (2022) Influent carbon to phosphorus ratio drives the selection of PHA-storing organisms in a single CSTR, Water Research X, 16, 100150 (11 pp.), doi: 10.1016/j.wroa.2022.100150 , Institutional Repository