Quête de matériaux avec défauts

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Les chercheurs de l’Empa ont conçu ce système pour analyser simultanément
Les chercheurs de l’Empa ont conçu ce système pour analyser simultanément plusieurs produits chimiques de la plateforme. Image: Empa

Est-il possible de retransformer le CO2 en carburant ou en d’autres produits chimiques utiles - Tout à fait, mais nous ne pouvons pas encore contrôler exactement les produits chimiques qui en résultent. Alessandro Senocrate, chercheur à l’Empa, cherche des défauts de matériaux qui pourraient nous aider à y parvenir.

Peut-on facilement inverser la combustion du pétrole, du gaz naturel et du charbon - Avec une source d’énergie renouvelable, un peu d’eau et un catalyseur approprié, le CO2 excédentaire de l’atmosphère terrestre pourrait devenir une ressource précieuse, par exemple pour la production de carburants synthétiques ou de "synfuels".

Cette idée prometteuse fait l’objet de recherches dans le monde entier, y compris à l’Empa, car sa mise en oeuvre n’est pas simple. Si l’on prend par exemple un catalyseur en cuivre - le type de catalyseur le plus étudié pour la conversion du dioxyde de carbone - on obtient jusqu’à 20 molécules différentes, du monoxyde de carbone et du méthane au propanol et à l’acide acétique. "Certains de ces composés sont liquides à température ambiante, d’autres sont gazeux", explique Alessandro Senocrate, chercheur à l’Empa. "Il est extrêmement laborieux de séparer tous ces produits les uns des autres".

C’est à la résolution de ce problème que Alessandro Senocrate, qui travaille dans le laboratoire "Materials for Energy Conversion" sous la direction de Corsin Battaglia, veut consacrer ses recherches au cours des quatre prochaines années. Le projet est financé par une "Ambizione Grant" du Fonds national suisse (FNS) et s’intègre dans le Pôle de recherche national "NCCR Catalysis". L’objectif du projet est de développer de nouveaux catalyseurs pour la conversion du CO2. Pour ce faire, Alessandro Senocrate ne s’attaque pas au matériau lui-même, mais à ce que l’on appelle les défauts. Un défaut se forme dans un matériau cristallin, par exemple lorsqu’un atome manque dans son réseau cristallin ou qu’il est remplacé par un atome étranger. Ces sites confèrent au matériau d’origine d’autres propriétés et peuvent donc agir comme des centres actifs où la catalyse chimique a lieu.

Dans un premier temps, le chercheur veut étudier quels défauts conduisent à quels produits de réaction. "Dans l’idéal, ces connaissances nous permettront de concevoir des catalyseurs qui, lors de la conversion du CO2, fournissent des molécules spécifiques plutôt qu’un mélange", explique-t-il. Certaines cibles potentielles présentent un intérêt particulier pour l’industrie. Il s’agit notamment du monoxyde de carbone et de l’éthylène. Ces molécules sont ce que l’on appelle des produits chimiques de plateforme : elles sont les substances de base de nombreux processus chimiques, notamment pour la fabrication de la plupart des matières plastiques. "Nous disposons déjà d’une chaîne de création de valeur complète pour ces produits chimiques de plateforme", explique Alessandro Senocrate. "Cependant, ils sont aujourd’hui presque exclusivement fabriqués à partir de pétrole". Des sources alternatives plus écologiques pour les produits chimiques à base de carbone - que ce soit à partir de la conversion du CO2 ou de la biomasse - sont donc nécessaires.

Outre les matières plastiques, des carburants peuvent également être fabriqués à partir de ces produits chimiques de plateforme. D’autres projets de recherche de l’Empa se concentrent sur la fabrication de synfuels. "Les voitures peuvent très bien être électrifiées", explique Alessandro Senocrate. "Pour les avions et pour de nombreux processus industriels gourmands en énergie, c’est différent". Dans ce cas, les synfuels seraient très utiles.

L’avantage des carburants liquides comme le kérosène est leur densité énergétique extrêmement élevée, qui peut dépasser celle des batteries d’un facteur proche de 100. Les carburants produits à partir d’énergie renouvelable sont donc aussi une possibilité particulièrement intéressante pour le stockage saisonnier d’énergie. L’infrastructure pour le transport et le stockage des synfuels existe déjà, car leur composition ne diffère guère de celle des carburants fossiles. La seule chose qui manque encore, c’est la capacité de les produire à grande échelle. Alessandro Senocrate est cependant optimiste : "Je ne fais de la recherche dans ce domaine que depuis quelques années, et pourtant j’ai déjà assisté à des progrès massifs", déclare le scientifique. "Bien sûr, il faudra aussi un grand changement politique et social. Mais du point de vue de la science des matériaux, les progrès sont fulgurants".

Avant que Alessandro Senocrate puisse contribuer à ce progrès avec son projet "Ambizione", il doit encore surmonter quelques défis. L’un des plus importants : introduire suffisamment de défauts dans le matériau cible pour obtenir un effet catalytique mesurable. En effet, le chercheur utilise volontairement un matériau de départ inerte qui, sans les défauts, n’a aucune influence sur la réaction électrochimique. "Cela me permet de déterminer très précisément l’effet de chaque défaut", explique-t-il.

Une fois que les défauts sont caractérisés, ils peuvent également être introduits dans des matériaux catalytiques existants. "Idéalement, à la fin du projet, nous pourrons améliorer de manière ciblée un système existant pour la conversion du CO2", explique Alessandro Senocrate. De tels systèmes sont déjà utilisés dans le laboratoire "Materials for Energy Conversion" : les chercheurs y testent déjà différents catalyseurs et matériaux d’électrode.

Les exigences posées à ces matériaux sont élevées : "Pour une utilisation industrielle, le catalyseur doit être sélectif, actif et stable", dit Alessandro Senocrate. La sélectivité signifie qu’il ne fournit qu’un seul produit chimique de réaction - ou du moins quelques-uns qui peuvent être facilement séparés. Une activité élevée est nécessaire pour produire la plus grande quantité possible de carburants ou de produits chimiques avec le moins d’énergie possible. Et bien sûr, un catalyseur prêt à être commercialisé doit maintenir sa fonctionnalité pendant des milliers d’heures de fonctionnement, c’est-à-dire être stable. "Nous devons encore faire beaucoup mieux pour ces trois propriétés", déclare le chercheur. "Mais nous sommes sur la bonne voie".