Un outil pour surveiller la biodiversité du bétail suisse

Le mouton à nez noir est essentiellement élevé dans le Haut-Valais. © iStock
Le mouton à nez noir est essentiellement élevé dans le Haut-Valais. © iStock

Des scientifiques de l’EPFL ont développé une plateforme web permettant de monitorer la diversité génétique du bétail et la durabilité de l’élevage en Suisse. Ce projet, développé en partenariat avec l’Office fédéral de l’agriculture, pourrait faire école.

«Avec la plateforme GenMon, nous avons voulu développer un outil pratique permettant d’automatiser la surveillance du bétail en Suisse» explique Solange Duruz, doctorante au Laboratoire de systèmes d’information géographique (LASIG) et première auteure d’une publication parue dans la revue PLOS One. «Ce monitoring est essentiel pour garantir la biodiversité génétique des races d’élevage suisses et pour anticiper les conséquences du changement climatique. Plusieurs espèces locales, comme la Brune Suisse Originale ou l’Evolénarde, produisent certes moins de lait que la Holstein, mais sont globalement plus résistantes face à un climat plus chaud. Il convient donc de les préserver», ajoute l’ingénieure.

Intégration de nombreux critères
L’application GenMon calcule une échelle de vulnérabilité pour chaque race. Elle combine de nombreux critères et intègre les résultats d’études de référence sur le domaine, comme l’explique Stéphane Joost, chercheur au LASIG et co-auteur de l’étude. «La grande originalité de GenMon est d’exploiter simultanément des données géographiques, environnementales, génétiques et socio-économiques et de pouvoir estimer la durabilité de l’activité d’élevage selon les races.»

Concrètement, pour les espèces de bétail (mouton, chèvre, vache, cheval, porc) et toutes leurs races, une carte de la Suisse et une note s’affichent en renseignant cinq critères: la consanguinité, établie sur la base du pedigree, le degré de concentration géographique dans une région, le degré «d’introgression», soit le nombre d’accouplements non-contrôlés qui risquent d’altérer son code génétique, si un plan de cryoconservation existe, et, enfin, le niveau de durabilité de l’activité d’élevage de la race en Suisse, face notamment au changement climatique.

Ce dernier critère comprend plusieurs sous-critères, comme l’explique Stéphane Joost: «L’analyse de la durabilité de l’activité d’élevage comprend par exemple l’estimation de la surface de prairies adaptées au bétail (qui détermine la qualité et la quantité du fourrage) et son évolution dans le temps, mais aussi des aspects socio-économiques, notamment, les projections démographiques et l’exode rural.» En guise de démonstration, Solange Duruz fait apparaître en quelques clics sur le logiciel une carte de la Suisse montrant l’ensemble des communes où le «mouton à nez noir» est élevé. Une région concentrée dans le Haut-Valais s’affiche en rouge. Une note évaluant le degré de consanguinité du cheptel indique que des efforts de diversification pourraient être menés.

Soutien de l’Office fédéral de l’agriculture
L’EPFL a développé la plateforme GenMon avec le soutien et les conseils de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG). Le développement d’un tel outil visait pour l’OFAG à répondre à une recommandation de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). La Suisse est à l’heure actuelle le seul membre des Nations Unies à avoir développé un outil permettant d’automatiser ce processus de surveillance. L’application, flexible et évolutive, s’adapterait aisément à d’autres pays, selon ses concepteurs. Elle pourrait donc servir de modèle.

La plateforme GenMon répertorie à ce jour une grande partie des races locales de bétail suisse, à l’exception de la volaille, des lapins et des petits animaux. La récolte des données génétiques et géographiques reste toutefois complexe. Pour la simplifier, les associations d’éleveurs pourraient à l’avenir introduire ces données directement sur l’application. Du côté de l’OFAG, Corinne Boss, responsable du domaine de la recherche et de la production animale, indique que la Confédération travaille en ce moment sur la conception d’une Stratégie sur la production animale 2030. Celle-ci devrait prendre forme d’ici la fin de l’année. L’intégration d’une plateforme de monitoring telle que GenMon pourrait être envisagée dans ce cadre.

Urgence d’agir
Mais l’urgence d’agir préoccupe les auteurs de l’étude. Solange Duruz: «Nous entrons dans une phase critique de l’agriculture d’élevage car le nombre d’éleveurs diminue et, avec eux, la biodiversité des espèces locales. Nous sommes en train de perdre un précieux patrimoine génétique alors qu’une partie de ma thèse tend à montrer que ces races sont globalement très résistantes.» Un constat que déplore également Stéphane Joost: «En prévision de l’assèchement des prairies, certains éleveurs suisses ont déjà introduit le zébu dans leur production agricole. Nous pensons toutefois qu’un usage avisé de la plateforme développée par Solange Duruz permettrait de revaloriser des espèces locales, probablement mieux armées pour affronter le réchauffement climatique annoncé que les races très productives, mais plus délicates.»

Référence
A WeGIS platform for the monitoring of Farm Animal Genetic Resources (GENMOM), Solange Duruz, Christine Flury, Giona Matasci, Florent Joerin, Ivo Widmer, Stéphane Joost, PLOS One, 28 April, 2017