Du yiddish à l’anglais : Comment le bagel est arrivé en Amérique

Au fil du temps, la langue anglaise s’est approprié certains mots yiddish, comme par exemple bagel. Certains ne sont même plus reconnaissables en tant que tels. La linguiste Julia Landmann, de l’université de Bâle, a rassemblé ces termes et les a classés en fonction de leur histoire sociale.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux juifs européens ont fui l’antisémitisme et la persécution pour se réfugier aux États-Unis. Les fugitifs ont apporté un certain nombre de choses dans leur nouvelle patrie : leur culture, leur religion, leur nourriture - et leur langue, le yiddish.

Julia Landmann, du Département de linguistique et de littérature de l’Université de Bâle, a étudié les mots yiddish qui ont réussi à faire partie de la langue anglaise. L’angliciste a publié ses conclusions sous forme d’un article dans le recueil ’Keys to the History of English’.

Pour ce faire, la chercheuse a recherché des termes yiddish dans le vaste Oxford English Dictionary et a pu dénicher un total de 248 mots et expressions d’origine yiddish. De A comme Arba Kanfot (un sous-vêtement carré porté par les juifs religieux) à Z comme Zaftig (description d’une femme à la silhouette pleine et ronde) ; il existe des termes yiddish-anglais pour chaque domaine de la vie.

La nourriture, la religion et l’être humain jouent un rôle central.

De nombreuses expressions yiddish qui se sont imposées en anglais décrivent certains aliments, la religion ou sont des désignations de l’homme et de son quotidien. Julia Landmann explique : ’Les termes de ces catégories ont été particulièrement souvent repris, car ces choses n’étaient tout simplement pas désignées en anglais jusqu’à présent’.

Dans la catégorie nourriture, on trouve par exemple Gefilte Fish, un plat de poisson froid très apprécié, notamment par les juifs ashkénazes, qui le consomment volontiers les jours de fête. Dans le thème de la religion, on trouve le verbe daven, un terme yiddish qui désigne la récitation de prières juives. Ce mot a évolué en anglais de telle sorte qu’il signifie également ’prier’ dans un contexte non juif. Dans la catégorie des personnes et de la vie quotidienne, outre des termes déjà très répandus comme shiksa (une femme non juive), on trouve également de nombreuses expressions humoristiques pour désigner un fou ou un imbécile. Par exemple Klutz, Putz ou Schlump.

Beaucoup de ces termes font donc partie de la langue anglaise parce qu’ils décrivent des choses nouvelles. Mais il y a aussi d’autres raisons. Certaines personnes aiment utiliser des termes yiddish dans leur vie quotidienne pour signaler leur appartenance à la culture juive. Ils ont par exemple besoin du mot Shul pour désigner l’église ou la synagogue, alors qu’il y aurait le mot anglais Church ou Synagogue pour cela’, explique Julia Landmann.

Du bejgl au bagel

Il existe également des termes anglais dont l’origine yiddish a été complètement oubliée avec le temps. Le bagel, par exemple. Au début du 20e siècle, des immigrants juifs polonais ont apporté pour la première fois aux États-Unis la pâtisserie appelée bejgl, qui est devenue de plus en plus populaire, d’abord à New York, et s’est transformée à la fin du siècle en un best-seller commercial et en un plat ’typiquement américain’ très apprécié.

Le joueur de tennis américain Harold Solomon, actif dans les années 1970 et 1980, a ajouté un nouveau chapitre à l’histoire du bagel : il a reformulé le mot en qualifiant de bagel une victoire 6-0 dans un set de tennis, le zéro rappelant la forme de la pâtisserie. Aujourd’hui, ’bagel’ est un terme courant dans le monde du tennis.

Des histoires comme celle-ci fascinent la linguiste Julia Landmann. Elle explique : ’Ce qui est intéressant dans l’interaction entre le yiddish et l’anglais, c’est la complexité. L’anglais connaît par exemple beaucoup plus de mots empruntés au français. Le nombre de termes yiddish est nettement inférieur, mais les histoires qui se cachent derrière sont d’autant plus passionnantes’.

Publication originale

Julia Landmann Investigating the dynamics of the lexicon. Une perspective socio-historique de l’emprunt de mots yiddish en anglais.
Clés pour l’histoire de l’anglais (2024), doi : 10.1075/cilt.363