Les problèmes inverses sont la spécialité de Yunan Yang. "Notre quotidien en est rempli", explique-t-elle : "Les ultrasons, par exemple, sont un problème inverse". Les appareils médicaux à ultrasons émettent des ondes sonores en dehors de notre champ auditif, qui se déplacent à travers le corps, et enregistrent à nouveau les ondes renvoyées. Un logiciel traite les signaux des ondes et montre ce qui se passe dans le corps. "Déterminer l’image du bébé à partir des ondes est un problème inverse", explique la mathématicienne de 32 ans, "Advanced Fellow" à l’Institut d’études théoriques de l’ETH (ETH-ITS) depuis janvier 2022 : "J’ai grandi en Chine, puis j’ai vécu huit ans aux États-Unis, mais jamais en Europe", raconte Yang : "C’est pourquoi je voulais venir à Zurich et collaborer avec des chercheurs en Europe".
La détection des tremblements de terre peut également être considérée comme un problème inverse. Les signaux sismiques mesurés par les stations sismiques indiquent où se trouve la source du séisme et à quelle profondeur sous la surface. "Ici aussi, il s’agit de traitement du signal", explique Yang. Elle a fait sensation auprès des spécialistes en résolvant le problème inverse des ondes sismiques à l’aide d’une autre théorie mathématique. Cette théorie s’appelle "transport optimal".
"Le problème du transport optimal est simple à formuler, mais très difficile à résoudre".
Minimiser les coûts
"Il s’agit d’une très belle théorie qui découle d’une question simple que le mathématicien français Gaspard Monge s’est posée en 1781", raconte Yang : "Comment transporter au mieux un gros tas de sable d’un endroit à un autre, de manière à minimiser les coûts ? On fait la somme des coûts de tous les mouvements, c’est-à-dire la masse multipliée par la distance, et on essaie de minimiser cette valeur pour déterminer le plan de transport optimal."Le problème du transport optimal est simple à formuler, mais très difficile à résoudre", explique la mathématicienne : "Pour Monge, il n’était pas soluble". Ce n’est que dans les années 1940 que le problème a pu être simplifié au point de pouvoir être résolu vingt ans plus tard grâce à des ordinateurs plus efficaces. "Depuis les années 1990, la théorie s’est complétée ; il y a des extensions, des algorithmes rapides et des applications", explique Yang.
Revenons aux ondes sismiques. "Nous ne pouvons pas regarder à 200 kilomètres de profondeur dans la terre vers un foyer de tremblement de terre", explique la mathématicienne. Il est toutefois possible de simuler des données sismiques à l’aide de mesures et de modèles physiques. Les ondes sismiques simulées sont comparées aux ondes réellement mesurées, et on essaie de les faire converger et de minimiser la différence entre les deux. "Pour résoudre ce problème, j’ai changé la manière de mesurer la différence entre les ondes", explique Yang : "J’imagine que les ondes mesurées sont un tas de sable. Je simule un deuxième tas de sable et j’essaie de trouver le moyen optimal de les égaliser". En termes mathématiques, Yang utilise une autre métrique pour mesurer les vagues, celle qui découle de la théorie du transport optimal.
Une merveilleuse rencontre
Yang raconte qu’elle doit sa carrière mathématique à une merveilleuse rencontre. Elle avait commencé des études de sciences naturelles à l’université chinoise de Zhejiang et s’était rendu compte au bout d’un an que les mathématiques étaient certes la matière la plus difficile, mais aussi celle qui la fascinait le plus, si bien qu’elle l’avait choisie comme matière principale. En tant qu’étudiante, elle est allée chercher des invités à l’aéroport de Shanghai en tant que bénévole, dont Luis Caffarelli et son épouse Irene Gamba, tous deux mathématiciens américano-argentins et professeurs à l’université du Texas à Austin. Caffarelli était déjà l’une des sommités dans le domaine des équations différentielles partielles et a récemment reçu le prix Abel, la plus haute distinction pour les mathématiciens de plus de 40 ans."J’étais très excitée et je les ai assaillis de questions pendant les deux heures de trajet entre l’aéroport et l’université, ce qui était plutôt imprudent d’un point de vue actuel", raconte Yang : Caffarelli et Gamba ont répondu patiemment aux questions de l’étudiante et l’ont encouragée à postuler pour un programme de doctorat à Austin. Yang a réussi : "Un an plus tard, j’étais à Austin pour commencer ma thèse et j’ai rencontré les deux".
Le rendez-vous des mathématiques à l’ETH
Parmi les membres de la faculté d’Austin figurait alors le mathématicien italien Alessio Figalli, nommé à l’ETH Zurich en 2016 et récompensé en 2018 par la médaille Fields, une sorte de prix Nobel pour les mathématiciens:-iennes de moins de 40 ans. En 2015, Yang a suivi les cours de Figalli à l’Université du Texas à Austin, qui travaille également dans le domaine du transport optimal. Après sa thèse de doctorat, elle a rejoint l’Institut Courant de l’Université de New York, le numéro 1 des mathématiques appliquées aux États-Unis. C’est là qu’elle a rencontré Afonso Bandeira, qui a été nommé à l’ETH en 2019. C’est donc tout naturellement qu’elle a postulé comme "Advanced Fellow" à l’ETH-ITS à l’expiration de son poste postdoctoral aux États-Unis et qu’elle a de nouveau réussi.Selon elle, l’EPF est l’un des meilleurs endroits au monde pour faire de la recherche. Avec Figalli et un collègue de l’EPF Lausanne, elle a récemment organisé à Zurich un atelier international sur la théorie et l’application du transport optimal.
Le changement de métrique pour mesurer les ondes et résoudre ainsi les problèmes inverses à l’aide du transport optimal s’est entre-temps imposé. Les outils issus de cette théorie sont aujourd’hui utilisés pour de nombreuses applications différentes. On peut par exemple les utiliser dans l’apprentissage automatique, où l’on essaie également de faire coïncider les données. Ou encore dans la détermination de la structure des molécules par microscopie électronique à très basse température.
Fuir la frustration
Le travail mathématique peut être frustrant. "On est bloqué 90 % du temps - ce n’est pas un bon sentiment", dit Yang. Pour se changer les idées, elle va prendre l’air et courir. Après quelques semi-marathons, elle a couru pour la première fois la distance totale d’un marathon cette année à Zurich. Elle aime également faire de la randonnée en montagne. "C’est tellement pratique ici, comme une Suissesse, je prends simplement le train", dit-elle. L’enseignement est également une bonne distraction, car il lui permet de parler de choses qu’elle connaît. "Cela renforce la confiance en soi". En juillet, elle occupera un poste de professeur tenure track à l’université Cornell aux États-Unis, qui comprend également des activités d’enseignement.Le déménagement aux Etats-Unis est également motivé par des raisons privées : "Je vais me marier et mon futur mari est professeur à Cornell". Comparée à Zurich, la ville est petite, mais également jolie, avec de nombreux lacs dans les environs - un endroit idéal pour la vie de famille. "Le poste à l’ETH m’a donné une occasion formidable de nouer des relations et de travailler avec des personnes de différentes régions d’Europe", déclare la mathématicienne : "A l’avenir, je pourrai poursuivre ces collaborations".
Référence bibliographique
Molinaro R, Yang Y, Engquist, Mishra, S. Neural Inverse Operators for Solving PDE Inverse Problems. ETH Zurich Research Collection (2023). https://www.research-collection.ethz.ch/handle/20.500.11850/596104Engquist, B, Ren, K, Yang, Y. La métrique quadratique de Wasserstein pour la mise en correspondance de données inverses. Inverse Problems 36 (2020) 055001. DOI : page externe https://doi.org/10.1088/1361-6420/ab7e04 call_made
Yang, Y, Engquist, B, Sun, J, Hamfeldt B F. Application du transport optimal et de la métrique quadratique de Wasserstein à l’inversion de forme d’onde complète. Geophysics 83 (2018) 1. DOI : page externe https://doi.org/10.1190/geo2016-0663.1 call_made
Engquist, B, Froese, B D, Yang, Y. Transport optimal pour l’inversion sismique de forme d’onde complète. Communications in Mathematical Sciences 14 (2016) 8 DOI : page externe https://dx.doi.org/10.4310/CMS.2016.v14.n8.a9 call_made