Un matériau produit au PSI permet de mettre à l’épreuve certaines irrégularités de la théorie du Big Bang

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Stephan Heinitz, Dorothea Schumann et Emilio Maugeri (de gauche à droite) du gro
Stephan Heinitz, Dorothea Schumann et Emilio Maugeri (de gauche à droite) du groupe de recherche Isotopes et target chimie dans leur laboratoire. (Photo: Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic)
Le Big Bang a été immédiatement suivi, entre autres, de l’apparition d’atomes radioactifs de type béryllium 7. Dans tout l’univers, la plupart de ces atomes se sont désintégrés depuis belle lurette, ils n’existent donc plus aujourd’hui à l’état naturel, contrairement au lithium, qui est leur produit de désintégration. Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer PSI viennent de contribuer à une meilleure compréhension des premières minutes de l’univers: ils ont collecté du béryllium 7 produit de manière artificielle afin de constituer un échantillon qui puisse être étudié. Le béryllium 7 a ensuite été analysé par des chercheurs du CERN. L’étude commune, dans laquelle 41 instituts de recherche étaient impliqués en plus du PSI et du CERN, se penche sur ce qu’on appelle le problème cosmologique du lithium: il existe en effet une nette disparité entre l’abondance de lithium dans l’univers prédite par la théorie du Big Bang et l’abondance de lithium effectivement mesurée. Après cette récente étude, il est aujourd’hui plus probable que la cause du problème cosmologique du lithium réside dans la description théorique de l’origine de l’univers. La communauté scientifique devra donc continuer à chercher une solution au problème cosmologique du lithium. Les chercheurs viennent de publier leurs résultats dans la revue spécialisée Physical Review Letters.

Afin de contribuer à une meilleure compréhension de l’origine de l’univers, des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer ont fourni une pièce de puzzle très complexe à obtenir: ils ont réussi à produire un échantillon d’atomes rares dont la durée de vie est très courte. Ces atomes sont des atomes d’un isotope, le béryllium 7. Ce béryllium 7, et plus concrètement son interaction avec les neutrons, ont pu ensuite être étudiés au CERN de manière beaucoup plus précise qu’ils ne l’avaient été jusqu’ici.

Comme le béryllium 7 se transforme en lithium 7 lors de sa désintégration radioactive, son étude est susceptible de contribuer à résoudre un problème fondamental de la théorie du Big Bang: cette théorie prédit en effet une abondance de lithium trois à quatre fois plus importante que ce que montrent les mesures effectives dans l’univers. Cette dernière grande énigme de la théorie actuelle de l’origine de l’univers est appelée problème cosmologique du lithium. Pour tous les autres éléments apparus juste après le Big Bang, la théorie qui porte son nom coïncide en effet avec les données mesurées.

La quasi-totalité actuelle de lithium 7 présente dans l’univers résulte de la désintégration de béryllium 7 apparu juste après le Big Bang. Les chercheurs ont donc cherché à savoir s’il n’y avait pas moins de béryllium au départ que ce que l’on imaginait jusqu’ici et si cela n’expliquait pas le problème cosmologique du lithium. L’un des derniers détails qui devait encore être vérifié était ce qu’on appelle la capture radiative de neutrons du béryllium 7. Cette valeur prédit la probabilité qu’un noyau d’atome de béryllium 7 absorbe un neutron libre et se désintègre ensuite.

La capture radiative de neutrons du béryllium 7 a été déterminée pour la dernière fois il y a une cinquantaine d’années, mais de manière relativement imprécise, explique Dorothea Schumann, chercheuse au PSI et responsable du groupe de recherche Isotopes et target chimie. Cet indice devait être à présent étudié au CERN avec une précision inégalée jusque-là. Or ce sont les chercheurs du PSI qui ont produit l’échantillon de béryllium 7 nécessaire à cet effet.

Plusieurs années de préparatifs et de tests

La fabrication et la mesure de l’échantillon de béryllium 7 se sont apparenté à la représentation unique d’une pièce de théâtre. Une représentation à laquelle des chercheurs ont dû lui consacrer environ trois ans de préparatifs et de tests. En raison de sa désintégration radioactive, le béryllium 7 disparaît si vite que sa quantité diminue de moitié tous les 53 jours environ. Pour que l’écart entre la fabrication de l’échantillon et sa mesure soit aussi bref que possible, il fallait donc que tout soit en place avant le déroulement proprement dit des expériences, tant au PSI qu’au CERN, mais aussi pour le transport entre les deux centres de recherche.

L’idée de cette expérience a germé en 2012. Dorothea Schumann savait qu’il était possible d’extraire cet isotope rare qu’est le béryllium 7 du liquide de refroidissement de la source de spallation SINQ, exploitée au PSI pour des expériences impliquant des faisceaux de neutrons.

Ici, au PSI, avec la SINQ et les autres installations de recherche, nous disposons de sources uniques lorsqu’il s’agit de récolter des isotopes radioactifs très rares, rappelle Dorothea Schumann. Pour les chercheurs qui exploitent et utilisent ces installations, ces isotopes sont un sous-produit. Mais ils sont utiles pour de nombreux centres de recherche, qui en ont un urgent besoin. Dorothea Schumann et son groupe de recherche extraient donc les isotopes rares un peu comme des chercheurs d’or. Ensuite, nous officions comme interface vers les chercheurs hors du PSI qui sont intéressés à obtenir des échantillons enrichis de ces isotopes, ajoute la chercheuse.

Intérêt du CERN

Des chercheurs du CERN ont signalé leur intérêt pour un échantillon de béryllium 7. Ils savaient que cela leur permettrait de s’attaquer au problème cosmologique du lithium, raconte Dorothea Schumann.

Voilà comment ce sont déroulés les préparatifs: au sein du PSI, Dorothea Schumann a cherché le contact auprès des chercheurs et des ingénieurs qui exploitent la SINQ. Conformément aux spécifications des chercheurs demandeurs d’isotopes, un système spécial de filtres a été raccordé à celui du liquide de refroidissement de la SINQ. Ce système a permis de retenir du matériau contenant du béryllium 7 pendant une période de trois semaines. En tant que profane, on peut se représenter notre filtre un peu comme le filtre utilisé dans de nombreux ménages pour filtrer l’eau du robinet, relève Dorothea Schumann.

Il a fallu ensuite faire subir une séparation chimique au matériau ainsi recueilli. Cela suppose une expertise spéciale, dont nous disposons heureusement dans notre groupe de recherche, souligne Stephan Heinitz, scientifique et membre du groupe de recherche de Dorothea Schumann. Cette procédure a toutefois nécessité une semaine supplémentaire et il a fallu la mener dans ce qu’on appelle une cellule chaude pour se protéger du rayonnement radioactif du matériau. Une cellule chaude est un laboratoire aménagé spécialement pour le maniement de substances radioactives.

Poids de transport: 800 kilos

A partir de là, l’échantillon spécialement préparé de béryllium 7 devait être placé sur un support adéquat, lequel a dû être transféré à son tour dans un dispositif de la taille d’une marmite, conçu pour s’insérer dans le montage de l’expérience au CERN. Les dispositifs et les récipients résistants aux radiations pour le transfert du matériau, tout cela a été réalisé sur mesure, raconte Emilio Maugeri, lui aussi chercheur et membre du groupe de Dorothea Schumann.

Enfin, il a fallu organiser un transport spécial pour substances radioactives du PSI au CERN et le faire autoriser au bon moment.

L’échantillon proprement dit que nous avons livré au CERN ne contenait que quelques millionièmes de gramme de béryllium 7, précise Dorothea Schumann. Mais avec tout le blindage, le poids de transport a finalement atteint 800 kilos.

Ensuite, pendant la phase décisive, tout s’est déroulé comme prévu. Les chercheurs du CERN ont réussi à mener leur expérience avec l’échantillon du PSI et à déterminer la capture radiative de neutrons du béryllium 7, insuffisamment connue jusque-là.

Le problème cosmologique du lithium reste non résolu

Les chercheurs du CERN et du PSI, et avec eux des chercheurs de 41 autres centres de recherche, se sont intéressés notamment à une désintégration particulière du béryllium 7: il s’agit d’un processus lors duquel un noyau d’atome de béryllium 7 capture un neutron libre, autrement dit une particule élémentaire sans charge. En même temps que cela se produit, un proton quitte le noyau de l’atome de béryllium. En conséquence, le noyau atomique contient un proton de moins et un neutron de plus. L’atome de béryllium se transforme alors en atome de lithium et devient du lithium-7. La capture radiative de neutrons - c’est-à-dire la probabilité que tout ce processus se produise - dépend de l’énergie du neutron libre. Les chercheurs ont donc exploité les possibilités qu’offre le CERN pour varier l’énergie des neutrons et ont généré une série de mesures pour les énergies de neutron les plus diverses.

Toutefois, cette mesure actuelle de la capture radiative de neutrons n’a pas permis, elle non plus, de résoudre le problème cosmologique du lithium. Comme l’explique Dorothea Schumann: La nouvelle mesure a permis aux chercheurs du CERN de déterminer la capture radiative de neutrons de manière suffisamment précise pour pouvoir aujourd’hui affirmer clairement que ce n’est pas de cette manière que l’on arrivera à résoudre le problème cosmologique du lithium. La communauté scientifique devra donc continuer à chercher une explication.

Texte: Institut Paul Scherrer/Laura Hennemann