Intégrer l’incertitude dans la planification énergétique

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Des chercheurs de l’EPFL ont développé un modèle pour prendre en compte l’incertitude dans la planification énergétique. Pour établir leur stratégie, les pays se basent en effet sur des prévisions, comme le prix futur des différentes ressources énergétiques, le coût des technologies, ou l’évolution de la demande en énergie. Ces valeurs, incertaines, sont souvent largement erronées et génèrent des solutions inadéquates. 

De nombreux pays, dont la Suisse, planifient actuellement leur stratégie énergétique, notamment pour diminuer la part d’énergie fossile utilisée. Pour assurer cette transition et faire baisser les émissions de CO2, ils doivent décider dans quelles ressources et quelles technologies investir dans le futur, et trouver un équilibre entre les coûts et les émissions. 

Des prévisions pour le 20 à 50 années à venir

Actuellement, ces décisions se basent sur des prévisions pour les 20 à 50 années à venir. Elles estiment par exemple quel sera le futur prix du gaz naturel, de l’énergie solaire, de la demande en énergie et de centaines d’autres paramètres. Toutes ces prévisions sont ensuite intégrées dans un modèle informatique, qui génère les « meilleures stratégies ». 

Des valeurs fausses et des solutions inadéquates

Or ces valeurs utilisées, incertaines, se révèlent souvent très éloignées de la réalité. Les modèles utilisés ne proposent donc pas les solutions optimales, et peuvent même mener à des aberrations. « On peut citer l’exemple de la Hollande, qui avait investi et construit d’immenses centrales à gaz, en prévoyant que le prix de cette ressource resterait bas », indique Stefano Moret, post-doctorant au  Industrial Process and Energy Systems Engineering Group  à la Faculté des Sciences et Techniques de l’Ingénieur et auteur de cette recherche. « Cela n’a pas été le cas et les centrales ont été fermées avant même d’être utilisées ». 

Un nouveau modèle basé sur des fourchettes de prix

Les chercheurs ont donc développé un nouveau système, capable de prendre en compte l’incertitude liée aux prévisions. « Au lieu de devoir miser sur le fait que le prix du gaz naturel sera de 3 centimes par kilowatt-heure dans les années à venir, notre solution permet de tenir compte du fait qu’il variera par exemple entre 1.5 et 5 centimes, selon les événements », explique le chercheur. « Elle tient ainsi compte de la variabilité des prix, des coûts, de la demande. » Leur modèle se base ainsi toujours sur des prévisions, mais il fonctionne avec des fourchettes, et non plus des valeurs fixes.

Leurs résultats suggèrent qu’en intégrant l’incertitude, une stratégie basée sur une grande part d’énergies renouvelables ne serait pas plus chère qu’une option misant sur les énergies fossiles. Les résultats de cette étude sont publiés dans le journal  European Journal of Operational Research.

Création d’un nouveau modèle 

Pour cette étude, les scientifiques ont tout d’abord créé "Energyscope", un nouveau modèle énergétique. « Il s’agit d’une représentation mathématique du système énergétique, avec plus d’une centaine de paramètres », explique Stefano Moret. « Les modèles utilisés actuellement par les états sont très lourds et complexes, et il n’était pas possible de les faire fonctionner avec ces fourchettes. » De plus, beaucoup de modèles utilisés ne sont pas disponibles en open-source, et donc pas utilisables. 

Des erreurs avec des écarts allant jusqu’à 300%

Les chercheurs ont ensuite démontré les nombreuses erreurs des prévisions dans le passé, avec des écarts de parfois 200 ou 300% entre les valeurs prévues et la réalité, par exemple dans le cas du gaz naturel aux États-Unis. 

Ils ont finalement proposé des fourchettes pour chacune des centaines de données. Ils se sont ainsi basés sur des prévisions, ont analysé des données historiques ou demandé l’avis d’experts. Pour définir la fourchette pour le taux d’intérêt à venir par exemple, ils ont utilisé les prévisions, les chiffres des banques centrales et consulté des experts académiques. 

Un travail de recherche commun

Ce travail est réalisé dans le cadre du SCCER « Joint Activity Scenarios and Modeling », qui réunit huit acteurs universitaires. Ils visent à mettre leurs compétences en commun, afin de proposer une initiative de modélisation énergétique au Conseil Fédéral. Actuellement, le modèle utilisé par la Suisse pour décider de sa stratégie énergétique est demandé à une entreprise privée, et n’est pas disponible en open-source. Les chercheurs entendent proposer une alternative plus ambitieuse, avec moins d’émissions de CO2.

Ce travail a été effectué en collaboration entre les laboratoires de l’EPFL  IPESE ,  TRANSP-OR  et  LEURE