Protonthérapie: une histoire à succès qui a débuté il y a 25 ans

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Damien Weber du Centre de protonthérapie du PSI et une collaboratrice, qui joue
Damien Weber du Centre de protonthérapie du PSI et une collaboratrice, qui joue le rôle d’une patiente, font une démonstration du déroulement du traitement à la station Gantry 3. (Photo: Scanderbeg Sauer Photography)

Le 25 novembre 1996, le Centre de protonthérapie de l’Institut Paul Scherrer PSI a pour la première fois traité un patient cancéreux au moyen de la technique du spot scanning, une première mondiale. Cette technique d’irradiation développée au PSI consiste à balayer des tumeurs situées en profondeur au moyen d’un faisceau, aussi fin qu’un crayon, de particules chargées. Les cellules cancéreuses sont ainsi éliminées de manière ciblée et le tissu sain environnant est préservé. Depuis, la technique est utilisée dans le monde entier et rien qu’au PSI plus de 2000 patientes et patients atteints d’un cancer ont été traités, dont plus d’un tiers d’enfants et de jeunes. Le fait que cette histoire à succès ait commencé au PSI n’est pas dû au hasard.

C’était un lundi et l’équipe du Centre de protonthérapie était réunie dans la salle de contrôle. «Serrés les uns contre les autres, nous fixions avec fascination le moniteur qui montrait la salle de traitement», se souvient Martin Grossmann, à l’époque et comme aujourd’hui physicien au Centre de protonthérapie (CPT) du PSI. Au sein d’une équipe de 15 personnes placées sous la direction de Hans Blattmann, Eros Pedroni er Gudrun Goitein, il a participé au développement d’une nouvelle technique permettant de soigner des patients atteints d’un cancer: le spot scanning, également appelé pencil beam scanning.

Le 25 novembre 1996, un patient était pour la première fois allongé dans la salle de traitement. L’homme de 62 ans venu du canton de Lucerne souffrait d’une tumeur maligne de la peau qui avait déjà engendré des métastases dans le cerveau. La nouvelle technique devait permettre d’irradier ces métastases cérébrales.

L’équipe était nerveuse, malgré une excellente préparation. «On peut traiter autant de mannequins en plastique que l’on veut, mais quand un vrai patient est allongé là, l’expérience est toute différente», relève le physicien médical Tony Lomax, membre de l’équipe de développement. C’est lui qui, ce fameux lundi, a aidé à positionner le patient correctement, afin que les faisceaux de protons atteignent précisément la zone de l’organisme devant être irradiée. Il s’agit en effet souvent d’une question de millimètre. «Un faisceau de protons est comme un outil acéré, affirme Martin Grossmann. Il n’est pas permis de se tromper.»

Grand succès

L’équipe de spécialistes a veillé à ce que la technique fonctionne sans accroc. Et, finalement, tout le monde a pu respirer ce 25 novembre: l’irradiation s’est déroulée comme prévu, c’est-à-dire comme Martin Grossmann et Tony Lomax s’y attendaient. «Nous étions absolument convaincus de maîtriser la technique. Nous avons déployé de gros efforts pour rendre les choses sûres à cent pour cent pour le patient», note Martin Grossmann.

L’année suivante, le Centre de protonthérapie soignait déjà avec succès plusieurs autres patients. Les experts du domaine étaient au départ sceptiques, tant la technique apparaissait à l’époque non maîtrisable. Pendant plus de dix ans, jusqu’en 2008, l’Institut Paul Scherrer a été la seule institution à utiliser cette technique. Depuis, le spot scanning s’est toutefois répandu dans le monde entier et est la méthode privilégiée en matière de protonthérapie.

Eliminer la tumeur

«La protonthérapie a fondamentalement modifié la lutte contre le cancer», indique Damien Weber, médecin-chef et directeur du CPT. Le principe de la protonthérapie est le suivant: un faisceau de protons - c’est-à-dire un faisceau compact de protons rapides chargés - élimine les cellules tumorales en détruisant leur matériel génétique (ADN). C’est ce que fait aussi la radiothérapie classique qui est généralement appliquée contre les cancers et qui attaque les cellules au moyen de rayons X.

Les protons ont toutefois un grand avantage par rapport à l’irradiation à haute énergie, explique Damien Weber. Grâce à eux, il est possible de définir très précisément l’endroit du corps où ils doivent déployer leur effet destructeur. «Les effets secondaires dus à l’irradiation sont beaucoup moins fréquents. C’est pourquoi cette méthode est notamment appropriée pour les enfants, mais également pour des tumeurs qui sont difficilement accessibles ou sont situées dans des zones particulièrement sensibles du corps.» Il s’agit par exemple de tumeurs dans la région de la tête ou près de la colonne vertébrale.

Pendant longtemps, le monde médical a employé la méthode dite du scattering. Le faisceau de proton est réparti et filtré par des inserts métalliques fabriqués individuellement pour chaque tumeur. Il n’atteint ainsi que la partie du corps qui doit être traitée. Pour les tumeurs oculaires, c’est cette technique qui est encore privilégiée. Mais pas pour les tumeurs profondes.

«Nous avons toujours su que la méthode du spot scanning aurait ici beaucoup d’avantages», fait valoir Tony Lomax. La zone de tissu touchée est balayée par le faisceau de protons «comme si on la redessinait au moyen d’un crayon», précise-t-il. Ou plutôt comme si on la faisait disparaître avec une gomme. L’endroit où se trouve la tumeur est déterminé au moyen d’un procédé d’imagerie comme la tomographie par ordinateur et la tomographie par résonance magnétique, et le faisceau de protons est programmé de façon à ce qu’exactement la bonne quantité de particules chargées atteigne la zone désirée.

L’avantage du PSI

Celui qui regarde derrière les coulisses du Centre de protonthérapie comprend pourquoi cette technique n’a pu être développée qu’au PSI et pas dans un hôpital par exemple. L’unité d’irradiation est appelée Gantry, a, à lui seul, la taille d’un camion. Et pour produire les faisceaux de protons et les guider vers l’unité de traitement, il faut encore d’autres grands équipements compliqués.

«Ce que nous faisons, c’est de la physique des accélérateurs appliquée, constate Martin Grossmann. Nous avons besoin d’instruments de mesure qui contrôlent le tracé du faisceau. Nous avons besoin d’une électronique rapide qui pilote les aimants nécessaires. Et surtout, nous avions à l’époque besoin du personnel spécialisé à même de construire une telle machine. Ce n’est pas quelque chose que l’on trouve à l’hôpital.»

L’idée du spot scanning est née à l’origine au Japon. «Mais notre équipe ici a eu assez de courage pour l’appliquer cliniquement», rappelle Martin Grossmann. Et cela avec beaucoup de succès pour le bien des patientes et des patients, depuis maintenant 25 ans.

Texte: Institut Paul Scherrer/Brigitte Osterath