Porté par l’Institut des sciences sociales, la création du Prix Widmer-Beaud remis désormais chaque année par la Faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne honore la mémoire des Professeurs Jean Widmer (1946-2007) et Paul Beaud (1942-2007), deux éminents sociologues suisses des médias, de la communication, de la culture et de l’espace public.
Paul Beaud et Jean Widmer : deux précurseurs des médiations sociales
Paul Beaud, professeur dans notre Faculté à l’Université de Lausanne, a été l’un des meilleurs connaisseurs du champ de la sociologie de la communication, qu’il aura contribué à fonder. Il a marqué des générations d’étudiant·es et de collègues par son érudition et son ouverture d’esprit. Auteur de nombreux ouvrages, il est très souvent cité pour son livre de référence La société de connivence. Média, médiations et classes sociales (1984), "qui place au coeur de la sociologie des médias l’analyse des rapports de pouvoir et des modes de légitimation sociale. Il montre que l’étude des médias doit être réintégrée dans un questionnement sociologique plus général qui porte sur les moyens de diffusion culturelle et, plus largement, sur les modes de socialisation.Le sociologue lausannois Paul Beaud cultivait une forte amitié avec le sociologue fribourgeois Jean Widmer. "Ils échangeaient fréquemment à propos de leurs domaines de recherche et d’enseignement", se souvient Raquel Boronat, veuve de Jean Widmer. (source: La Liberté ). Reconnu pour avoir introduit l’ethnométhodologie en Suisse, Jean Widmer a oeuvré afin de créer un pôle interfacultaire à l’Université de Fribourg, qui repose sur sa conviction que l’enseignement pluridisciplinaire apporte une ouverture d’esprit et une plus-value bénéfique aux étudiant·es.
Le Prix Widmer-Beaud
Ce prix, remis lors de la cérémonie d’ouverture des cours de la Faculté des SSP, récompense un·e candidat·e qui signe individuellement un article ou un chapitre de haute qualité paru dans une publication scientifique et apportant une contribution significative à la réflexion sur la communication, la culture, les médias, les médiations ou l’espace public.Cette année, il a été remis à Marine Kneubühler, doctorante en sociologie de la communication, pour son article paru dans la revue Réseaux en 2023 sur l’impact de la pandémie de coronavirus sur l’enseignement universitaire en Suisse romande.
Félicitations pour l’obtention du Prix Widmer-Beaud ! Qu’avez-vous éprouvé en le recevant pour votre ?
J’étais très heureuse de voir le fruit de mon travail récompensé mais j’ai surtout éprouvé une grande reconnaissance envers deux personnes : Laurence Kaufmann, ma directrice de thèse, et Philippe Gonzalez qui ont été mes enseignant·e·s et avec qui j’ai eu la chance de travailler. Ils m’ont transmis énormément, dont leur filiation avec les pensées de Jean Widmer et Paul Beaud et je les remercie sincèrement pour cela. à ce titre, ce prix a une valeur affective et symbolique particulière pour moi.
Pouvez-vous nous présenter le sujet de votre article paru dans la revue Réseaux ?
Dans l’article, j’analyse les conséquences de la pandémie sur les interactions qui permettent habituellement d’enseigner et d’apprendre à l’université. Il s’agissait de documenter la façon dont les différents dispositifs techniques mis en place pour pouvoir maintenir les cours, en co-modalité ou en ligne, ont affecté l’expérience de l’enseignement universitaire. L’enjeu était de déterminer si et comment les différentes situations garantissaient une participation collective aux étudiant·e·s.
Quelle méthode avez-vous utilisé pour mener à bien ce travail ?
Avec une collègue, nous avons réalisé ensemble une ethnographie en occupant toutes les places qu’il était possible d’occuper au sein des configurations prises par les cours observés au fil des semaines. J’ai ensuite décrit ces configurations en créant des schémas et j’ai analysé ces données de manière qualitative. Je me suis particulièrement intéressée aux effets des dispositifs sur la mise en présence des corps et la possibilité de susciter une attention conjointe et une expérience commune autour d’un même cours malgré la distance.
Pourquoi avoir choisi ce sujet ?
Nous travaillions pour un projet FNS sur la distanciation sociale en temps de pandémie et les terrains d’enquête étaient difficiles à cette période. Observer un cours à l’université était un terrain facile d’accès mais aussi familier. Nous en maîtrisions les ressorts interactionnels en temps ordinaire, ce qui était favorable pour repérer les incongruités de la situation exceptionnelle. Après coup, il semble aussi que cet article peut offrir des pistes pour réfléchir aux cursus d’enseignement à distance qui fleurissent un peu partout en ce moment.
Quels sont les principaux résultats de votre article ?
Certaines configurations sont plus propices que d’autres à offrir une participation collective. Celle qui a suscité le plus d’engagement a été la configuration où tout le monde était logé à la même enseigne sur Zoom. La qualité des enseignements en co-modalité dépend de nombreux facteurs techniques et interactionnels qu’il faut bien maîtriser pour éviter de mettre les étudiant·e·s en ligne à l’écart. Certaines activités, telles que les séances de questions rendent la co-modalité délicate, voire très problématique, tant du côté des enseignant·e·s que des étudiant·e·s. La pire séance a été celle qui combinait à la fois Zoom et rec.unil : elle a donné tout son sens à l’idée qui a fait le titre de l’article : l’enseignement disloqué.
Comment envisagez-vous la suite de votre parcours professionnel ?
La prochaine étape est de terminer et soutenir ma thèse de doctorat. La suite dépendra des opportunités qui s’ouvriront mais, je le souhaite, toujours dans la recherche et l’enseignement.