La plante et son pollinisateur « prisonnier » : une affaire de climat

Arum maculatum
Arum maculatum

L’arum tacheté est connu pour séquestrer une espèce de mouche bien précise qui lui sert à diffuser son pollen. Alors qu’on croyait cette relation exclusive, voilà qu’une chercheuse démontre qu’en fonction du climat, la plante change volontiers de « prisonnier » pour optimiser sa reproduction.


Poussant dans les régions tempérées, l’arum tacheté (Arum maculatum) est célèbre pour son mode particulier de reproduction qui consiste à séquestrer les mouches chargées de sa pollinisation. A la base de sa tige se trouve une poche qui constitue un véritable piège à insectes. Au mois de mai, l’inflorescence se met à chauffer et à diffuser une odeur d’excréments et d’urine. Attirée par ces effluves, une mouche du genre Psychoda s’y précipite. C’est alors que le piège s’active : au sommet du renflement, des poils se dressent, rendant vaine toute tentative d’évasion, tandis que les parois sécrètent un liquide qui les rend glissantes. Aucune échappatoire n’est donc possible.


Si la mouche a déjà visité une plante précédente, les fleurs femelles recueillent le pollen rapporté. Le deuxième jour, c’est au tour des fleurs mâles de libérer leur pollen sur la mouche. Une fois l’opération terminée, les poils se relâchent et l’insecte peut prendre son envol. C’est un cas assez singulier de relation antagoniste entre la plante et son pollinisateur. «Habituellement, commente la chercheuse Anahí Espíndola, dans les relations de pollinisation, on s’attend à ce que l’insecte reçoive un cadeau en échange du service rendu à la plante, typiquement du nectar. Ici, la mouche se trouve tout simplement prisonnière, voilà pourquoi nous parlons d’interaction antagoniste.»


La jeune biologiste a pu établir pour la première fois quels insectes pollinisateurs l’on rencontre en fonction de la répartition géographique de cette herbacée vivace. Elle a réussi à le faire au prix d’une patiente récolte d’arums et de mouches à travers l’Europe, sur une bande s’étendant de l’Irlande à la Grèce. Ainsi, dans le nord du continent, le voisinage de l’herbacée est dominé par les mouches Psychoda phalaenoides tandis que dans les régions méditerranéennes, cette espèce se raréfie au profit de Psycha grisescens, une espèce soeur de la première. Et c’est précisément le climat qui est responsable de ce changement.


« Dans un contexte de réchauffement global comme celui dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui, commente Anahí Espíndola, il est vital de connaître l’effet des changements environnementaux sur les espèces. Et notamment celles qui sont particulièrement menacées à cause de leur dépendance vis-à-vis d’autres organismes, comme la relation étroite entre une plante et son pollinisateur spécifique évoquée
dans cette recherche. Des études comme celle-ci démontrent que des variations climatiques ont un effet direct sur la composition et l’efficacité des interactions entre les espèces, ce qui peut nous renseigner sur les dangers liés à la disparition de certains partenaires suite à des variations environnementales. Cette étude apporte alors un élément clé pour directement nous aider à mieux comprendre la dynamique des communautés et à mieux coordonner nos actions pour protéger notre patrimoine de biodiversité actuel. »

CW